Depuis que la pandémie a débuté, les conspirationnistes s’en donnent à cœur joie en élaborant des scénarios catastrophes et en nous expliquant que toute cette situation aurait été voulue par une élite mondiale qui serait en train de renverser le marché financier pour établir un gouvernement mondial. Bien qu’on ait le droit de se poser de sérieuses questions sur les anomalies et sur les retards de certaines décisions qui ont été prises, c’est en lisant un article de Pierre Dubuc dans l’Aut’journal que j’ai réalisé que les autorités mondiales, tous pays confondus, avaient reçus de sérieux avertissements concernant une probable pandémie et qu’elles ne les avaient pas pris en compte, en étant conscients que les personnes les plus à risque d’en être victimes étaient les personnes âgées.
Les avertissements ignorés:
L’hebdomadaire progressiste américain The Nation a publié, dans son édition du 1er avril, des extraits d’un rapport secret du Pentagone prévenant, dès 2017, l’administration Trump d’une pénurie de ventilateurs, de masques et de lits d’hôpitaux pour faire face à une éventuelle pandémie causée par un nouveau coronavirus. La pandémie, selon le rapport, aurait un impact significatif sur la disponibilité de la main-d’œuvre.
Dans ce document de 103 pages, on reconnaissait que la plupart des pays industrialisés ne seraient pas équipés pour protéger leur population et on prédisait une compétition féroce entre eux pour l’obtention de vaccins.
Le Canard enchaîné, journal satirique français ayant ses entrées auprès des services de renseignement Français, révélait dans son édition du 8 avril dernier l’existence d’un rapport de la CIA, transmis aux services de renseignement des pays alliés, prédisait une mutation des « virus existants » et « l’arrivée d’une maladie respiratoire, virulente, extrêmement contagieuse, sans traitement adéquat ».
Le rapport, rédigé par 25 experts au lendemain de l’épidémie de SRAS (2003-2004) et remis en 2005 sous la présidence Obama au National Intelligence Council, prédisait, rapporte le Canard, que « la maladie pandémique se manifesterait sans doute dans une forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux » et prophétisait la « dégradation des infrastructures vitales et des pertes économiques » à l’échelle mondiale.
Les avertissements au Canada.
En 2006, après le SRAS, un rapport fédéral de 550 pages a été produit sur les préparatifs nécessaires en prévision d’une éventuelle pandémie. Il décrivait très bien les différentes phases du développement de la pandémie, telles que nous les vivons aujourd’hui : arrivée au Canada trois mois après son émergence ailleurs dans le monde; 70 % de personnes infectées; 15 à 35 % des Canadiens montrant des signes de la maladie; un grand nombre de personnes infectées ne présentant aucun signe de la maladie; le pic atteint de deux à quatre mois après son arrivée au Canada.
Une des signataires du rapport n’était nulle autre que le Dr Theresa Tam, qui a été nommée en 2017 au poste d'administrateur en chef de la santé publique du Canada et qui est actuellement chef de l'Agence de la santé publique du Canada.
En 2010, il y a eu un audit sur les problèmes de gérance des stocks d’équipements médicaux d’urgence.
En 2018, une évaluation des conséquences de la grippe porcine H1N1 a soulevé des préoccupations concernant une pénurie de ventilateurs.
En 2019, une étude menée par un groupe de scientifiques questionnait la capacité de plusieurs pays, dont le Canada, de prévenir, détecter et répondre à une épidémie majeure.
En septembre 2019, soit trois mois avant l’éclosion de la COVID-19 en Chine, un rapport conjoint de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale de la Santé prévenait des gouvernements de se préparer à une pandémie.
En octobre 2019, un rapport du Global Health Security Index de l’Université John Hopkins jugeait que les 195 pays évalués, dont le Canada, étaient insuffisamment préparés à faire face à une pandémie.
Le 30 décembre 2019, une alerte scintillait sur le réseau ProMED, un système monitorant les maladies émergentes, utilisé par tous les hôpitaux du monde. Le libellé était : « Message urgent. Pneumonie de cause inconnue ». Le message a été relayé aux 800 000 membres du réseau ProMED, qui est administré par la Société internationale pour les maladies infectieuses. Il prévenait les institutions médicales de la férocité du virus et leur demandait de prendre des moyens de précaution en conséquence.
Mais, malgré tous ces avertissements, le 29 janvier 2020, soit un mois après le déclenchement de l’alerte à Wuhan, le Dr Theresa Tam, l'administratrice en chef de la santé publique du Canada et chef de l'Agence de la santé publique du Canada, déclarait à des parlementaires à Ottawa que « les risques au Canada étaient beaucoup, beaucoup plus faibles que dans plusieurs autres pays ». C’était quatre jours après l’arrivée à Toronto en provenance de Wuhan de la première personne infectée au pays.
Faisons maintenant le lien avec ce qui se passe dans les CHSLD au Québec. Ce n’est pas d’hier que la maltraitance est devenue une plaie dans notre société. Il n’y a pas un mois qui passe sans qu’on apprenne de nouveaux cas et rien de concret n’est fait par le gouvernement pour remédier à la situation. Il y a quelques jours, le CHSLD de Ste-Dorothée a été mis en demeure par les proches d’une patiente.[1] Il y a eu plusieurs morts dans différentes institutions la fin de semaine de Pâques. Que dire du CHSLD de Herron. C’est l’horreur. Voici un extrait de l’article de Marie-André Chouinard dans le devoir du 14 avril :
Les incompréhensions s’additionnent : quelle part de responsabilité revient au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, apparemment informé de quelques irrégularités dès le 29 mars dernier ? Quelle part de blâme repose sur le groupe Katasa, propriétaire de cette résidence exigeant de ses occupants des loyers mensuels oscillant entre 3000 $ et 10 000 $ ?
Des patients affamés, assoiffés, laissés plusieurs jours dans des couches souillées. Des résidents décédés, mais pas de constat de décès effectué. Des patients tombés au bas de leur lit. Et autour d’eux, le vide. Du personnel de soutien, infirmier et médical absent, parce qu’infecté par la COVID-19 ou craintif de l’être. Dans un contexte où les arcs-en-ciel pullulent sur fond de « ça va bien aller » rose bonbon, c’est le tiers-monde pour certains de nos aînés — et cher payé en prime !
Le premier ministre, François Legault, a voulu se faire rassurant lundi en indiquant que le portrait général des 2600 résidences pour aînés (publiques et privées) est plutôt reluisant, en dépit de « quatre ou cinq cas sous surveillance ». L’existence d’un seul de ces hospices infectés par la négligence est suffisante pour qu’à nouveau, ont conclue à l’échec d’un système. La pandémie a servi de catalyseur à des maux que l’on connaissait depuis des lustres, dénoncés tour à tour par le Vérificateur général et le Protecteur du citoyen, entre autres.
Herron fait la manchette ces jours-ci, mais d’autres petits Herron, à divers degrés, se cachent partout, comme on l’a vu à Sainte-Dorothée, à LaSalle et ailleurs au Québec. Il faut l’admettre : le casse-tête est insoluble en temps de crise, et c’est bien avant qu’il eût fallu s’y attaquer. Le personnel est fragile, mal payé (13 $ l’heure pour un préposé aux bénéficiaires), surchargé car insuffisant et largué par des proches aidants interdits de séjour dans les CHSLD, ce qui laisse à découvert des pans entiers de soins non prodigués.
La maltraitance des personnes âgées continue de plus belle, qu’il y ait une pandémie ou pas. La responsabilité de ce gâchis ne reviendrait-elle pas aux gestionnaires de CHSLD et des CISSS qui continuent d’agir comme des robots, pendant qu’ils devraient agir comme des humains?
En 2006, le livre « On tue nos vieux » écrit par Christophe Fernandez, Thierry Pons, Dominic Prédali et Jacques Soubeyrand expliquait que, placée dans le seul contexte économique, la vieillesse n'était plus envisagée qu'en termes de contraintes, de charges et d'inutilité par nos dirigeants. La grande défausse des États permettait un véritable génocide gériatrique sans culpabilité, parce que lorsqu'on est vieux on doit mourir. Un génocide silencieux perpétré grâce aux incohérences et aux maltraitances qui font tous les ans plus de morts que la canicule. De la prise en charge défaillante des vieux aux urgences à l'hécatombe des mauvaises orientations, sans parler des euthanasies, « tellement courantes, disait un médecin, que pour s'en convaincre il suffisait d'aller dans les hôpitaux », tout contribuait à accélérer leur fin. Ceux qui survivent à l'hôpital se retrouvent dans des maisons de retraite inadaptées à leur prise en charge. Abandonnés sans soins dans des établissements sous-dotés en personnel, les vieux dénutris, sous-médicalisés et surmédicamentés ne font pas long feu. La justice ne condamne que rarement ces « dysfonctionnements institutionnels ». La vie d'un vieux, au pire, ça vaut deux ans avec sursis. L’État se désengage d'autant plus volontiers du problème qu'il veut privatiser le secteur.
On a qu’à penser aux coupures et à la décentralisation des services de Gaétan Barrette sous le règne libéral qui, pour justifier les bains hebdomadaires aux personnes âgées, avait essayé de nous faire croire que la débarbouillette était aussi efficace. Que dire des changements de couches qui continuent d’être comptabilisés. Ces gestionnaires n’ont pas le droit de s’en prendre à la dignité de nos aînés. Que dire de la bouffe dégueulasse qu’on leur propose, même après le spectacle honteux que le ministre Barrette nous avait fait, en essayant de nous croire que cette merde molle allait devenir de la haute gastronomie. Ceux qui ne croient pas que le gouvernement libéral de l’époque avait institutionnalisé la maltraitance ferait bien de lire le dernier rapport de la protectrice du citoyen. Marie Rinfret avait dénoncé[2], il y a un an, une maltraitance organisationnelle dans les CHSLD. Ses observations avaient mené à des recommandations valables pour ces institutions et pour les résidences privées pour personnes âgées[3].
« On faisait des recommandations plus larges, pas uniquement à l’établissement, mais aussi au ministère et aux différents intervenants pour revoir l’organisation des soins et aussi répondre au manque de personnel », avait-t-elle précisé.
Selon la protectrice du citoyen, la pénurie constante de travailleurs dans les CHSLD demeure un enjeu majeur, « qui a un effet dévastateur sur les soins ». (Je me permets un commentaire personnel ici : il n’y a pas de pénurie de personnel dans les CHSLD, c’est faux. Ce sont les gestionnaires qui refusent d’en engager plus par économie)
La maltraitance organisationnelle qu’elle dénotait l’an dernier découlait d’ailleurs de ce manque de personnel. « Il y a des soins d’hygiène de base qui ne sont pas offerts. [...] Les personnes pouvaient rester couchées toute la journée et le manque de soins pouvait ne pas être noté, ce qui fait que le personnel qui prenait la relève ne savait pas que les soins n’avaient pas été donnés », avait-elle fait part.
Si Mme Rinfret garantit que des travaux sont faits depuis ses constats pour pallier le manque de personnel, elle conçoit évidemment que la COVID-19 est devenue un enjeu supplémentaire. « C’est une crise majeure, la pandémie s’est invitée là-dedans », a-t-elle ajouté. (J’ose espérer que ce n’est pas la pandémie qui a été invitée)
Saluant les actions prises par le gouvernement Legault pour augmenter le nombre de professionnels, notamment dans les CHSLD, elle espère par ailleurs que d’autres évaluations à vaste échelle soient menées après la crise.
Les gestionnaires des CISSS, CIUSS et des CHSLD sont les uniques responsables de cette maltraitance. Posons-nous la question : Pourquoi ces institutions n’ont-elles pas le nombre de préposés requis, au prorata des lits disponibles dans leurs établissements? Pourquoi les infirmières qui s’occupent de personnes âgées dans le milieu privé, sont-elles moins bien payées que celles dans le public? Où va l’argent que payent les résidents? Ça joue entre 3000$ et 10,000$ par mois.
Sommes-nous en train d’assister à un génocide gériatrique? Une fois que les choses reviendront à la normale, le gouvernement, s’il veut réellement connaître la vérité, devra arrêter de jouer à l’autruche en instituant une commission d’enquête, non pas sur la maltraitance des personnes âgées parce qu’elle est devenue systémique, mais sur l’attitude et l’imputabilité des gestionnaires de CISSS, CIUSS et des CHSLD concernant cette maltraitance institutionnalisée. S’ils n’ont rien à cacher, que les gestionnaires viennent s'expliquer devant la commission en donnant la même opportunité à leurs employés qui pourraient être protégés par la même immunité dont les bandits de la construction ont bénéficiés devant la commission Charbonneau, histoire de ne pas se faire crisser dehors pour avoir dit la vérité.
[2] https://www.journaldemontreal.com/2020/04/10/crise-dans-les-chsld-la-protectrice-du-citoyen-avait-denonce-de-mauvaises-pratiques-lan-dernier
[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1318361/protectrice-citoyen-services-publics-deficients-rinfret
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