En raison de différences idéologiques, Montréal s'est distanciée de ses partenaires de longue date pour organiser la célébration soulignant la fondation de la ville le 17 mai prochain. Résultat : il y aura cette année trois fêtes, organisées chacune de leur côté par trois organisations, pour se souvenir... du même événement historique.
C’est une longue collaboration qui prend fin : depuis 1917, la Société historique de Montréal, de concert avec la Ville et l'évêché, organisait une journée de célébration le dimanche le plus proche du 17 mai afin d’honorer les fondateurs français de la ville, Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance.
Or, des malaises sont apparus entre les trois partenaires au sujet des questions de laïcité et de diversité – des soucis qui bouillonnent en sourdine depuis quelques années.
Cette année, la Ville a décidé d’organiser elle-même sa fête, qu’elle veut désormais « citoyenne, familiale et festive ».
La Société historique a rapidement changé son fusil d’épaule : elle organise son propre événement. L’évêché, quant à lui, fait cavalier seul dans la préparation de sa traditionnelle messe hommage aux fondateurs, à la basilique Notre-Dame.
Robert Comeau, le président de la Société historique, celle-là même qui a instauré la fête il y a 102 ans, demandait depuis plusieurs semaines des informations aux fonctionnaires municipaux, afin que son organisme et la Ville puissent coordonner leurs efforts.
« Après de nombreux appels et courriels, on m’a reçu pour m’expliquer qu’il y aurait plusieurs changements », dit-il.
La responsable du protocole à la Ville lui a expliqué que, dorénavant, l’événement aura toujours lieu le 17 mai, peu importe le jour de la semaine. Mais surtout que Montréal réorientait en quelque sorte son approche.
La Ville ne veut pas co-organiser ça avec nous. Et on comprend très bien que c’est dans un nouveau contexte, où la ville veut organiser ça sur ses propres bases, dans une perspective, j’imagine, plus laïque.
Selon Robert Comeau, des tensions ont émergé l’an dernier, lorsque la Ville a transformé la traditionnelle fête en célébration de la « diversité ». Des membres des Premières Nations ont été invités à s’exprimer, ce qu’ils ont fait en anglais et en mohawk, tout en déclarant, comme cela se fait de plus en plus, que l’on se trouvait en « territoire non cédé ».
Des propos qui ont fait bondir les membres de la Société historique – qui se sont aussi offusqués de l’usage de l’anglais – puisque, selon leurs recherches, la question de l’occupation autochtone de l’île de Montréal est complexe.
« On a réglé cette question et on m’a bien expliqué qu'on ne revenait pas avec [ce concept] », dit M. Comeau.
La Ville assure que la Société historique n’est pas exclue de la fête. Elle « aura un rôle à jouer et sera incluse dans l’événement du 17 mai », où sera présente la mairesse Valérie Plante, explique Laurence Houde-Roy, attachée de presse du comité exécutif.
« On m’a dit d’être patient, que ça viendrait », rétorque Robert Comeau, qui n’a toujours pas d’informations, à quelques semaines de la célébration, sur ce que l’on attend de lui.
La Société a donc choisi d’organiser un grand banquet pour ses quelque 300 membres le dimanche 19 mai, au musée Pointe-à-Callières.
Elle rendra également hommage aux 49 premiers citoyens de Montréal, alors nommée Ville-Marie, dont les noms sont inscrits sur un monument en forme d’obélisque sur la place D’Youville, en y déposant une couronne de fleurs.
On va faire ça de notre côté.
La Ville entend déléguer un représentant à ce banquet ainsi qu’à la messe, mais elle ne peut confirmer si la mairesse elle-même y sera présente.
L’évêché « libéré »
Questionnée sur la nouvelle orientation de la Ville, Laurence Houde-Roy assure que « ce n’est vraiment pas en lien » avec les questions de laïcité et de religion.
« C’est vraiment pour redonner un aspect familial et citoyen » à la fête, soutient-elle.
Le message résonne différemment du côté de l’évêché, où travaille l’abbé Marcel Lessard, secrétaire de Mgr Christian Lépine, et selon qui des tensions existent depuis la célébration du 375e anniversaire de Montréal.
Selon l’abbé Lessard, le service du protocole avait alors fait des demandes jugées inacceptables par l’évêché quant au déroulement de la messe.
La Ville aurait, par exemple, aimé que la célébration intègre des célébrants d’autres confessions, afin d’être plus inclusive. « Pour nous, c’était impossible », dit M. Lessard.
C’était lourd comme réunions, avec ce qu’on avait à négocier. On était une vingtaine autour d’une table pour préparer une messe, avec des gens qui n’ont pas de connaissances liturgiques.
La dimension protocolaire a également été lourde à gérer pour l’évêché, ajoute-t-il. « On a changé cinq fois l’heure de la messe à cause du protocole et à cause de l’agenda des premiers ministres, dit M. Lessard. Ce n’est pas un drame, mais ça illustre la lourdeur. »
L’année suivante, la première année de Valérie Plante et de Projet Montréal à la tête de la Ville, les relations entre l’administration et l’évêché ont « été assez neutres, correctes, sobres », dit M. Lessard. « De la diplomatie froide », ajoute-t-il.
Cette année, il n’y a pas eu de contacts avec la Ville. « Il y a une déception. On souhaiterait que tout le monde participe, dans toutes les instances, mais on s’en guérit, on va se prendre en main et on va faire quelque chose de bien et de beau », dit l’abbé.
Pour dire la vérité, on se sent libéré. Libéré de toutes ces négociations qui nous apparaissent un peu inusitées et aussi de la dimension protocolaire.
L’évolution des relations, à l’image de la société
Les liens entre les organisations évoluent, constatent à la fois le président de la Société historique et l’abbé Lessard. Si, autrefois, les mêmes personnes faisaient partie des mêmes organisations, créant une proximité de facto propre à influencer les pratiques de l’un et de l’autre, elles se distancient aujourd’hui.
Autrefois, c’était le président de la Société historique qui présentait un mot de bienvenue à la messe. Ce n’est plus le cas.
« Nous ne sommes pas une société religieuse », martèle Robert Comeau, qui a modernisé certaines pratiques de son organisme, comme celle de payer des messes pour les membres décédés de l’organisation, ou encore celle d’inviter l’évêque à son banquet.
« Encore cette année, on me demandait de faire des cartons d’invitation pour inviter les gens à la messe [du 19 mai], explique-t-il. On est une société historique, ce n’est pas à nous de le faire. »
« On a vraiment l’impression de faire l’apprentissage de la laïcité », estime pour sa part l’abbé Lessard, selon qui toute cette situation se vit malgré tout sereinement et en bons termes.
« Ce n’est plus comme à l’époque de Jean Drapeau et du cardinal Léger, à savoir qui serait photographié le plus souvent. »
À ce jour, la Ville n’a pas publié de détails sur les activités prévues pour sa fête du 17 mai.