Aléxis Tsípras et SYRIZA s’étaient fait élire en janvier dernier sur un programme sans ambiguïté de refus de l’austérité et de la mise en tutelle de la Grèce par la « Troïka ». Alors même que le jeune Premier ministre et son bras droit Yánis Varoufákis luttaient pied à pied à Bruxelles pour défendre leurs positions, le peuple grec, consulté par référendum, leur avait encore apporté le 5 juillet un soutien massif.
Pourtant, à quelques jours de là, Tsípras, confronté à des forces supérieures en nombre et en puissance qui prétendaient ne lui laisser d’autre issue qu’une capitulation sans conditions, opérait effectivement une reddition sans gloire, à quelques lieues de Waterloo.
Des belles promesses de campagne, fracassées sur les écueils de la réalité, il ne restait que le souvenir, et Tsípras, retombant dans l’ornière d’où il avait prétendu sortir le char de l’État, ne semblait plus, comme ses prédécesseurs, qu’un fantoche réduit à vendre la Grèce par appartements, sous le regard vigilant et méfiant de ses maîtres bruxellois et berlinois, et grâce aux voix – un comble ! – d’une majorité essentiellement composée des adversaires naturels de SYRIZA, le Parti socialiste et la Nouvelle Démocratie, autrement dit les « Républicains » à la sauce hellène.
La volte-face de Tsípras allait-elle s’inscrire dans l’interminable liste des compromissions et des reniements qui ont brouillé l’image de la politique et creusé le fossé entre les peuples et leurs dirigeants ? Le nom de Tsípras resterait-il dans l’Histoire, pour peu de temps au demeurant, comme celui d’un politicien trop habile pour être honnête, prêt à tout pour accéder et capable de tout pour rester au pouvoir ? Était-il de la même race qu’un François Hollande qui, candidat, avait juré qu’il renégocierait le pacte de stabilité accepté par son prédécesseur puis, président, s’était assis sans vergogne sur cet engagement capital comme sur quelques autres ? Accepterait-il, pour s’incruster dans sa fonction, de gouverner avec son opposition et contre son propre parti ? La moindre honnêteté ne lui commandait-elle pas de remettre en jeu le mandat qui lui avait été confié pour écrire une autre histoire ?
La démission spectaculaire d’Aléxis Tsípras, l’organisation, dans la foulée de cette démission, d’élections législatives qui seront l’équivalent d’un référendum, nous invitent, si nous sommes de bonne foi, à une tout autre lecture du personnage et de son action.
Après tout, le pragmatisme n’est pas interdit à un homme d’État. Le retour du général de Gaulle, en 1958, avec le soutien de l’armée, des pieds-noirs et d’une opinion lasse de la IVe République et de sa médiocrité, semblait garantir, de l’aveu même de son bénéficiaire, le maintien de l’Algérie dans la République française. On sait ce qu’il en advint. Revenu aux affaires, le chef de l’État de la toute neuve Ve ne tarda pas à conclure, dossiers en main, que la solution qui avait sa préférence et qu’il était censé faire triompher n’était pas viable. Mais aucune des inflexions, aucune des évolutions auxquelles il procéda, et qui devaient mener à une issue bien différente de celle qu’il avait laissé espérer, ne s’accomplirent sans la libre consultation, l’approbation et donc l’absolution du peuple souverain.
Il est clair qu’Aléxis Tsípras aurait mieux aimé faire prévaloir le programme sur lequel les Grecs l’avaient choisi, et tout aussi clair qu’il en est venu au cours de ce dramatique mois de juillet à considérer qu’il n’y parviendrait pas. Quoi que l’on en pense – et il est permis de penser que le Premier ministre grec avait raison en janvier et qu’il se trompe en août -, c’est aux Grecs eux-mêmes qu’il reviendra de décider d’ici à quatre semaines s’ils s’inclinent devant la force, s’ils acceptent la chiche assistance qui leur est dédaigneusement octroyée en contrepartie de nouveaux sacrifices et de nouveaux abandons, et s’ils reconduisent Tsípras et sa nouvelle feuille de route ou s’ils obéissent, en toute connaissance de cause, à l’appel du grand large et osent faire le pari de l’indépendance, une indépendance si chèrement acquise il y a deux siècles et si lamentablement perdue ces dernières années.
Quelle que soit leur réponse, au moins les aura-t-on consultés. Ce faisant, la Grèce, dans son malheur, vient de nous donner une exemplaire leçon de démocratie.
Aléxis Tsípras : la leçon de démocratie
Vox populi, vox Dei
Dominique Jamet36 articles
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.
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