«Je vais juste me tirer dans la tête», a répété maintes fois Alexandre Bissonnette dans l'appel qu'il a fait lui-même au 911 pour se rendre, sanglotant, et demandant plusieurs fois au répartiteur s'il avait fait des blessés à la mosquée.
La Couronne a déposé en preuve le long appel téléphonique qu'il a fait, vers 20h10, peu de temps après avoir ouvert le feu à la mosquée de Québec.
Une conversation qui a duré 50 minutes et 38 secondes, débutant alors qu'il roulait toujours en direction de l'île d'Orléans et qui s'est poursuivie lorsqu'il a immobilisé sa voiture sur l'accotement de l'autoroute, là où il a été ensuite arrêté.
L'homme de 28 ans semble calme par moments, et complètement confus et angoissé à d'autres. Il a parfois des échanges cordiaux avec l'homme à l'autre bout du fil, discutant même du métier de répartiteur, mais il se met à paniquer fréquemment, veut se rendre aux policiers et sortir du véhicule, devenant de plus en plus impatient alors que l'appel se prolonge.
Il a toutefois commencé son appel de façon claire et concise:
- «C'est moi qui était à la mosquée tantôt», dit-il avec un calme déconcertant.
- «C'est vous le tireur?», lui demande le répartiteur.
- «Ben j'aimerais ça me rendre justement, là», rétorque alors Bissonnette sur le même ton.
- «Je pense que je vais juste me tirer dans la tête. Ça va finir là», ajoute-t-il.
Il abordera plusieurs fois la question des blessés à la mosquée.
- «Y'a personne qui a été blessé au moins?», demande-t-il au répartiteur à plusieurs reprises au cours des 50 minutes.
Après qu'il eut reposé une autre fois la question, le répartiteur lui dit qu'il ne sait pas. «Je veux savoir, je veux savoir», insiste alors Alexandre Bissonnette d'une petite voix.
Plus tard, lorsqu'il s'enquiert à nouveau sur les blessés, le répartiteur lui dit que s'il y en a des blessés, les ambulanciers sont sur place, pour aider les gens. Bissonnette se met à répéter, comme une litanie: «Aider le monde. Aider le monde. Aider le monde».
Puis, Bissonnette lui demande aussi de rassurer les policiers qui s'apprêtent à intervenir, lui disant qu'il n'a jamais fait de mal à personne et qu'il ne va pas les blesser.
Lorsqu'il se fait poser des questions simples, comme son nom et où il habite, il ne dit mot. Ou bien il répond qu'il ne sait pas. Par moment, il panique. On l'entend aussi respirer fortement. Il pleure.
«Je pense que je vais me tirer dans la tête, ça va finir là.» Plus tard, il dira qu'il veut se rendre dans le bois pour mettre fin à sa vie.
Puis le répartiteur lui demande «pourquoi il a fait ça».
Bissonnette renifle et il y a un grand silence. «Je feel pas», dit-il difficilement.
Il dit aussi qu'il n'aurait pas dû boire ce soir-là.
Les policiers ont mis tout ce temps avant d'arriver et d'approcher Alexandre Bissonnette, qui a donné sa position au début de l'appel.
Cet appel a été déposé en preuve jeudi par la Couronne, dans le cadre des audiences sur la détermination de la peine qui sera imposée à Alexandre Bissonnette.
La Couronne offre ainsi une série d'éléments au soutien de la peine qu'elle va réclamer pour le jeune homme qui a plaidé coupable fin mars à six accusations de meurtre au premier degré et à six chefs de tentative de meurtre.
Arrêt de travail
Plus tôt en journée, la Couronne avait aussi déposé en preuve un billet de médecin: en raison de troubles anxieux, le jeune homme avait été mis en arrêt complet de travail du 5 janvier au 27 janvier 2017.
La tuerie a eu lieu deux jours plus tard, la veille du jour où il devait rentrer au travail.
Après l'appel au 911, la Couronne a commencé à montrer la vidéo de l'interrogatoire policier du jeune homme, fait au lendemain de la tragédie.
Alexandre Bissonnette est dans une petite salle dénudée. Habillé d'un habit une pièce de prisonnier, de couleur blanche.
Pâle, les traits tirés, il pleure sans cesse lors de l'interrogatoire, les papiers mouchoirs s'accumulant devant lui. Il est fébrile, bouge continuellement, se tient la tête dans la main, ne semblant pas trouver de position confortable. Il a de la difficulté à respirer et semble avoir des douleurs à la poitrine.
Un policier lui résume les événements de la veille.
«J'ai appelé le 911?», demande-t-il, l'air incrédule. Puis il hoche la tête comme si le souvenir lui revenait. Il parle d'avoir juste des «flashes» de sa conversation.
«Je veux pas en parler. Je veux pas en parler», dira-t-il alors. Je veux juste mourir, expliquera-t-il en se tordant les mains.
Puis il dit au policier: «vous m'avez dit qu'avait six meurtres».
«Pis ça, ça se peut pas....»
La présentation de la vidéo se poursuivra vendredi matin, au palais de justice de Québec.