Les questions de guerre et de paix sont les plus importantes en politique et le chef du Bloc Québécois, Gilles Duceppe, s’est élevé au-dessus de la petite mêlée politicienne en annonçant l’intention du Bloc Québécois de faire tomber le gouvernement Harper sur la question de l’Afghanistan.
En exigeant un rééquilibrage de la mission canadienne, Gilles Duceppe ne faisait que tirer les leçons qui s’imposent de l’échec de l’approche déployée par les États-Unis et l’Otan depuis cinq ans.
L’Otan est en train de perdre la guerre
À la critique de Stephen Harper qui l’accuse de faire de la politique sur le dos des militaires, le chef du Bloc cite les propos du général britannique David Richards, commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité de l’Otan, qui déclarait il y a quelques semaines que «si, dans six prochains mois il n’y a pas d’efforts de rééquilibrage, 70% de la population va basculer dans le camp taliban ».
Il aurait également pu prendre à témoin le ministre belge de la Défense qui, constatant que «la situation se dégrade et que, avec le temps, les forces de l’Otan risquent d’apparaître comme une armée d’occupation », soulignait la nécessité de réfléchir à une stratégie de sortie.
Il pourrait également jeter sur la table les conclusions lapidaires du plus récent rapport (14 décembre) du réputé Groupe Senlis selon lequel «les Talibans sont en train de gagner la bataille pour les coeurs et les esprits dans le sud de l’Afghanistan et la communauté internationale en train de la perdre ».
De nombreux pays de l’Otan font le même bilan de la situation en Afghanistan. Cela était clair lors de la dernière rencontre des pays membres de l’Otan à Riga en Lettonie. Des pays qui ont d’importants contingents en Afghanistan ont réitéré leur refus, malgré les pressions américaines, de participer aux combats dans le sud du pays. C’est le cas de l’Allemagne avec son contingent de 2750 soldats, des Pays-Bas (2100 soldats), de l’Italie (1800 soldats) ou encore de la France (1000 soldats).
Le bilan des pertes humaines traduit bien cette situation. Plus de 90% des soldats tués appartiennent aux pays de la coalition anglo-saxonne, soit 50% pour les troupes américaines, 25% pour les troupes canadiennes et 15% pour les troupes britanniques. Bientôt, ce sera au tour des soldats de Valcartier de revenir au Québec dans des cercueils.
L’enlisement plutôt que le rééquilibrage
Aucun des objectifs «officiels » de la mission n’est rencontré. Le gouvernement Karzai est corrompu, les seigneurs de la guerre font la loi et la production d’opium est florissante comme jamais et représente plus de 60% des revenus de l’État.
Mais le gouvernement canadien persiste. Pourquoi ? Parce que le premier ministre Stephen Harper et le général en chef Rick Hillier se servent avant tout de la mission en Afghanistan pour redorer le blason militaire du Canada aux yeux des États-Unis et des autres pays de l’Otan.
Plutôt que de chercher une porte de sortie par la voie de la négociation, le gouvernement canadien s’engouffre dans l’engrenage de l’escalade. Il se flatte de l’entrée en fonction de blindés pour la première fois depuis la guerre de Corée.
Dans un éditorial intitulé «Afghanistan : quel équilibre? », l’éditorialiste André Pratte de La Presse questionne la nécessité de ce nouvel équilibre entre les pôles militaire et humanitaire dont parle Gilles Duceppe et critique la proposition d’un «plan Marshall » pour l’Afghanistan de Stéphane Dion en soulignant que l’aide canadienne au développement s’élève aujourd’hui à 100 millions par an.
Son collègue Gilles Toupin (La Presse , 18 novembre) évaluait les coûts de la présence militaire canadienne en Afghanistan à près de 10 milliards de 2001 à 2009, soit plus de 1,25 milliard par année ! Où est l’équilibre, Monsieur Pratte ?
Et cela ne tient pas compte des achats prévus d’équipements militaires totalisant plus de 17 milliards dont 4,9 milliards pour des avions C-130J de Lockheed Martin afin de transporter les blindés Léopard sur des terrains de combat comme l’Afghanistan.
L’Afghanistan dans l’équation du déséquilibre fiscal
Les éditorialistes Jean-Marc Salvet du Soleil et Bernard Descoteaux du Devoir jugent tous les deux «irresponsable » que les bloquistes provoquent la chute du gouvernement Harper pour protester contre la mission canadienne en Afghanistan.
Pour Salvet, ce serait un «non sens » que d’obliger «les Québécois et les Canadiens à se rendre aux urnes sans même connaître la proposition de règlement du déséquilibre fiscal contenue dans le prochain budget fédéral ». Non seulement il ne voit pas que l’enlisement en Afghanistan va grever les finances publiques - compromettant tout règlement à long terme du déséquilibre fiscal -, mais, à ses yeux, la mort inutile de soldats canadiens et québécois ne pèse pas lourd dans la balance.
La position de Bernard Descôteaux est plus subtile. L’opposition doit défaire le gouvernement «sur un enjeu plus substantiel, par exemple le budget », écrit-il et il invite le Bloc à juger de l’ensemble des orientations du gouvernement, «y compris son engagement militaire en Afghanistan par le truchement des budgets qu’il y consacre. »
Mais, parions que si le gouvernement Harper fait une proposition intéressante au Québec pour régler le déséquilibre fiscal, le directeur du Devoir demandera au Bloc de faire fi des dépenses militaires et de voter pour le budget.
Le Bloc ne veut pas être complice de vies humaines sacrifiées inutilement
Gilles Duceppe déclarait devant les membres de la Chambre de commerce de Québec : «Nous ne serons pas complices d'un gouvernement obtus qui s'obstinerait dans la voie actuelle. Car si rien ne change, nous nous dirigeons vers un enlisement certain, qui mènera au sacrifice de vies humaines sans obtenir aucun résultat. »
Nous encourageons, Gilles Duceppe et tous les bloquistes, à persévérer dans cette voie. C’est la seule position responsable.
L'aut'courriel n° 215, 17 décembre 2006
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