René Lévesque, s'adressant à ses compatriotes qui croyaient vivre dans un régime oppresseur, avait dit que le Canada n'est tout de même pas le Goulag. Il ne l'est tellement pas que le financement du Bloc québécois, deuxième parti d'opposition aux Communes, est assuré en large partie par des fonds fédéraux.
Qu'il en soit ainsi heurte néanmoins certains esprits, au Québec comme au Canada. Pour certains, il est anormal que le Canada entretienne en son sein les germes de son autodestruction. Pour d'autres -- il s'agit de souverainistes dans ce cas --, le Bloc se couvre de ridicule en se faisant «subventionner par le pays qu'il veut quitter». Vivre aux crochets d'Ottawa créerait une dépendance à laquelle il faut mettre fin.
La pertinence de la présence du Bloc à Ottawa se trouve ainsi soulevée une autre fois. Elle a déjà été abondamment traitée et elle a été tranchée, les Québécois venant d'y renvoyer un fort contingent de bloquistes. [Une autre question, plus tordue, sous-tend toutefois la pensée de ces commentateurs->1713] qui finissent par conclure que le financement des partis politiques par l'État devrait tout simplement être aboli et laissé entièrement à leurs membres et à leurs partisans.
Le recours au financement populaire est certes éminemment souhaitable, mais le jupon cache parfois bien mal les intentions, par exemple vouloir affaiblir ses adversaires en réduisant leurs ressources financières. Il n'est pas difficile de deviner où logent ceux qui défendent une telle idée. Alors que ses coffres débordent, le Parti conservateur pourrait se passer de l'argent de l'État, ce qui n'est pas le cas du Bloc et encore moins du Parti libéral. Dans ce cas, il n'y a qu'à voir la difficulté qu'ont les candidats au leadership libéral à recueillir des fonds pour imaginer l'effet qu'aurait une telle mesure.
Les justifications à un soutien de l'État ne manquent pourtant pas. Les partis sont les piliers de notre système politique. Ils sont le creuset où naissent et fermentent projets, politiques et idées nouvelles, alimentant les gouvernements qui, autrement, seraient réduits à ne s'appuyer que sur les appareils bureaucratiques. Faire fonctionner un parti politique exige de plus en plus d'argent, surtout en période électorale. Par sa contribution, qui est fonction des résultats obtenus aux élections précédentes, l'État assure un équilibre minimal des forces en présence. Même s'il n'a pas encore de député au Parlement, le Parti vert peut par exemple faire entendre sa voix avec une force au moins égale à l'appui populaire qu'il reçoit.
L'ancien premier ministre Jean Chrétien a considérablement accru le financement étatique des partis avant de quitter la politique. Il pressentait probablement que les scandales qui ont affligé son gouvernement affecteraient le financement populaire des partis. Il a pu vouloir protéger son propre parti, mais tous bénéficient également des règles qu'il a imposées. On peut croire qu'il a peut-être été plus généreux que nécessaire, mais on ne peut pas contester que cette mesure est bénéfique sur le plan démocratique. Elle garantit une diversité idéologique qui contribue justement à ce que le Canada ne soit pas un goulag.
bdescoteaux@ledevoir.ca
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