Gérard Bouchard nous a démontré qu'il est encore plus naïf qu'intellectuel, ce qui n'est pas peu dire. Il s'est fait prendre au piège médiatique de la pire des façons. Soyons clairs: il n'a pas dit que ceux qui écoutent TVA, TQS et, «dans le meilleur des cas, Le Téléjournal» (celui de Radio-Canada) sont tous des crétins. Il croit cependant que la population n'a pas reçu de la part des intellectuels, qu'il critique d'ailleurs, des arguments pour la convaincre des bienfaits de la diversité culturelle. Comment, s'interroge-t-il, pourra-t-il alors «déconstruire» les discours simplistes que véhiculent les médias?
Eh bien, tentons maintenant de «déconstruire» le discours de M. Bouchard. Ce qu'il a l'air de penser, c'est que l'argumentaire intellectuel est indigent dans ce domaine et que, s'il ne l'était pas, tout le monde serait favorable à la diversité culturelle. Question: et si ce n'était pas aussi simple que ça? Et si on ne trouvait pas d'arguments parce que cette diversité culturelle recouvre le meilleur et potentiellement le pire et que personne ne réussit à tracer clairement les frontières?
Ces accommodements raisonnables, que la population associe maintenant à l'immigration et rejette en bloc, ce ne sont certainement pas l'aménagement de toilettes pour handicapés ou de rampes d'accès pour les fauteuils roulants. Ce sont plutôt ceux exigés par les fondamentalistes religieux, islamistes au premier chef et juifs orthodoxes qui, profitant de la tonitruance des premiers, surfent désormais sur les acquis de ceux-ci.
À force de ne pas vouloir ostraciser les musulmans en général, on est en train de faire déraper une majorité de Québécois. Ces derniers, cela semble clair, ne tolèrent pas les revendications qui découlent d'une religion qui discrimine fondamentalement les femmes. Les Québécois, M. Bouchard trouvera peut-être cela primaire, n'aiment pas voir des femmes couvertes de la tête aux pieds, parfois visage compris, marcher derrière un homme en pantalon de toile légère et t-shirt et qui refuse à l'hôpital qu'un médecin homme examine sa femme.
Les Québécois qui découvrent depuis quelques années ces femmes voilées sont portés à croire que l'immigration nouvelle, c'est cela même, et ils s'inquiètent pour l'avenir. D'autant plus qu'à la télévision, ils assistent impuissants chaque soir aux tueries de terroristes qui proclament que l'Allah de ceux qu'ils croisent chez eux est bon et qu'il faut tuer pour lui. Ce ne sont ni les Costaricains, ni les Haïtiens, ni les Chinois qui immigrent qui leur posent problème. Dire cela est politiquement incorrect, mais on voit bien où l'autocensure est en train de nous entraîner.
Il existe une évidence brutale. Sans l'immigration, le Québec ne survivra pas. Mais à quel prix voulons-nous qu'il survive? Nous avons eu la naïveté -- et, en ce sens, M. Bouchard est un «vrai» Québécois -- de croire que quiconque parle le français est un immigrant désirable pour nous. Selon cette logique, on pourrait accueillir tous les talibans francophones et tous les musulmans polygames d'expression française, qui peupleraient ensuite le Québec sans sourciller. Absurde, dira-t-on. Mais il arrive que le raisonnement par l'absurde éclaire aussi le débat.
Il faut développer d'urgence une pédagogie pour dissocier l'immigration du discours sur les accommodements. Un pays a le droit de choisir ses immigrants selon ses valeurs propres, mais il a aussi le devoir de faciliter leur intégration par diverses mesures. Si les intégristes religieux sont bruyamment revendicateurs ici, c'est à cause d'une mollesse sociale et d'une confusion dans la définition de nous-mêmes comme peuple.
Nous sommes préoccupés par les accommodements parce que nous sommes bien embêtés d'en définir pour nous-mêmes.
Cette diversité jamais définie se confond alors avec le multiculturalisme canadien, dont le pouvoir désintégrateur est indéniable. La semaine dernière, en confondant accommodements raisonnables et immigration, Mario Dumont a dérapé sur un terrain plus que dangereux, sans issue à long terme. Entre un discours perçu comme un dénigrement du peuple et une démagogie sur le dos des immigrants toutes catégories, le débat est terriblement dénaturé.
La fonction de l'intellectuel est fondamentale dans la société, mais que dire des interventions maladroites de Gérard Bouchard? Il laisse entendre que si les gens étaient plus instruits (pour ne pas dire moins ignorants), ils seraient plus ouverts à la diversité culturelle (jamais définie à ce jour) et plus tolérants. Or tout cela est faux. Faut-il rappeler le rôle des intellectuels dans l'élaboration des théories qui ont dévasté le XXe siècle, le stalinisme et le nazisme, avec leurs centaines de millions de victimes? Faut-il signaler que certains enseignent encore dans des universités le négativisme historique à propos des camps nazis et que les dirigeants des Khmers rouges qui ont tué des millions de Cambodgiens avaient été éduqués dans les universités françaises?
De même que l'insécurité personnelle entrave la clairvoyance et provoque la méfiance, l'insécurité collective entraîne la confusion. Le rôle de l'intellectuel est alors de rassurer après avoir écouté. C'est à ce prix que la commission Bouchard-Taylor s'acquittera... raisonnablement de sa tâche.
denbombardier@videotron.ca
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