Dans un geste sans précédent, la Couronne fédérale abandonnera demain le processus judiciaire contre 36 individus arrêtés dans la plus importante enquête antimafia depuis Colisée, a appris La Presse.
Ces personnes, accusées principalement de trafic, d'importation et de production de drogue, de possession d'armes, d'incendies criminels et d'enlèvement, ont été arrêtées en 2014, 2015 et 2016 dans l'enquête Clemenza de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Celle-ci avait ciblé les clans de la mafia qui avaient pris de l'importance à Montréal à la suite de l'opération Colisée qui avait sensiblement affaibli la famille Rizzuto en 2006.
Quelques accusés concernés sont détenus, mais la plupart sont en liberté sous caution.
Vendredi dernier, tous les avocats de la défense des individus concernés ont reçu une lettre de leurs homologues de la poursuite fédérale leur annonçant l'intention de ces derniers de déposer des suspensions du processus judiciaire en vertu de l'article 579 du Code criminel (nolle prosequi) dans la plupart des dossiers demain, au palais de justice de Montréal.
Les techniques d'interception
Selon nos informations, la divulgation de la preuve relative aux techniques d'enquête et à l'interception des communications privées n'est pas étrangère à cet important rebondissement judiciaire.
La grande majorité de la preuve recueillie durant l'enquête Clemenza - qui s'est déroulée en 2010 et en 2011 - repose en effet sur des millions de messages textes (pin to pin) que les suspects ont échangés sur leurs appareils de type BlackBerry et que les enquêteurs ont interceptés.
Durant l'enquête, la GRC a utilisé un appareil de surveillance appelé Mobile Device Identifier (MDI) pour prouver avec certitude que les messages textes qu'elle interceptait provenaient bien des téléphones des suspects. Il s'agit d'un émetteur-récepteur radio qui imite la signature d'une antenne cellulaire légitime, faisant ainsi en sorte que les téléphones cellulaires des environs s'y connectent.
L'avocat de l'un des accusés a présenté une requête pour savoir précisément quelle technique d'interception et d'identification a été utilisée par les enquêteurs. La poursuite a depuis repoussé la divulgation jusqu'à la date de demain. Mais vendredi, elle a annoncé une suspension du processus judiciaire pour 36 accusés. Un nolle prosequi donne tout de même à la poursuite la possibilité de porter de nouvelles accusations d'ici un an.
Des avocats n'excluent pas non plus que cette volte-face de la poursuite soit motivée, en partie du moins, par la décision de la Cour suprême (arrêt Jordan) qui limite les délais du processus judiciaire.
«À la poubelle»
«Ce sont six ans d'enquête jetés à la poubelle», a déploré une source hier à La Presse. Selon nos informations, des discussions viriles seraient survenues ces derniers mois entre la direction de la GRC et les procureurs de la poursuite sur l'éventualité de ce dénouement.
D'après des policiers, l'enquête Clemenza aurait pu déboucher sur des condamnations et des impacts pour la mafia montréalaise encore plus importants que Colisée, qui a décapité en 2006 le clan des Siciliens, qui ne s'en est jamais véritablement remis.
Mais le meurtre de l'aspirant parrain Salvatore Montagna à Charlemagne en novembre 2011, qui a eu lieu alors que les enquêteurs de la GRC captaient des messages textes incriminants, est venu tout compromettre. Les enquêteurs fédéraux ont en effet dû remettre les preuves du complot à leurs collègues de la Sûreté du Québec qui devaient élucider le meurtre, ce qui a éventé l'enquête Clemenza. Ainsi, le coup de massue anticipé au départ est devenu un coup d'épée dans l'eau, croient des policiers.
La majorité des individus qui bénéficieront demain d'un arrêt du processus judiciaire sont liés aux clans du défunt Giuseppe De Vito, empoisonné au cyanure au pénitencier de Donnacona à l'été 2013, et de Vittorio Mirarchi - protégé de Raynald Desjardins -, toujours en attente de sa peine pour le meurtre de Salvatore Montagna.
Soulignons toutefois que la poursuite maintient des accusations contre 11 individus arrêtés pour trafic de cocaïne et gangstérisme dans la dernière phase de l'enquête Clemenza en mai 2016. La poursuite demandera demain de remettre de nouveau à une date ultérieure la divulgation sur la technique d'interception des messages.
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