Voilà un an que j’ai déjeuné avec Jean-Luc Mélenchon, candidat de gauche à la présidentielle française, au coeur de l’ancien centre littéraire de Paris. J’en ai gardé un bon souvenir. Tapissé de livres, le café Les Éditeurs rend un authentique hommage aux jours de gloire de Saint-Germain-des-Prés et aux auteurs célèbres qui dominaient la scène européenne dans les années 1950 et 1960. À New York, par contre, les lieux publics utilisent souvent les livres pour donner une impression de sérieux.
Or, l’édition n’est pas tout à fait morte dans ce quartier autrefois bohème, aujourd’hui huppé. Mon éditeur, Les Arènes, est situé à cinq minutes à pied, rue Jacob, et Mélenchon, lui, est l’auteur de nombreux ouvrages politiques ; c’est donc de loin le plus littéraire des cinq candidats principaux. Au moment de notre rencontre, à plus d’un an du premier tour de l’élection de 2017, il affichait son côté « humaniste » — il m’a fait cadeau de trois de ses livres — et j’ai fini par être convaincu qu’il possédait une personnalité plus aimable que celle qu’il présente dans ses interventions de campagne, parfois aiguës et sarcastiques.
J’ai voté par instinct pour Mélenchon, alors candidat du Front de gauche au premier tour en 2012, parce que j’aimais sa rhétorique anti-finance, anti-capital, surtout dans le sillage de la crise financière de 2008. Aussi ai-je été déçu par son score de 11,1 %, d’autant qu’il était devancé de près de 7 points par Marine Le Pen, du Front national. Là, je me suis rendu compte qu’il y avait une faiblesse dans sa plate-forme, et cette faiblesse s’appelle l’Europe. Mélenchon, j’imagine, sous-estimait la puissance des tendances nationalistes en France, à gauche comme à droite, déjà démontrée en 2005 par le rejet de la Constitution européenne. Et aussi à quel point les attaques de Le Pen contre l’Europe et l’euro émouvaient les petites gens touchés par une austérité dictée par l’Allemagne et la Banque Centrale européenne.
L’ancien socialiste, aujourd’hui candidat indépendant de La France insoumise, avait bel et bien rompu avec son parti de plus en plus libéral/social-démocrate, mais Mélenchon conservait sans doute un peu de sa foi européenne remontant à son soutien de François Mitterrand, cofondateur de l’euro avec Helmut Kohl, et parrain de l’interdiction désastreuse d’un déficit budgétaire au-delà des 3 % du PIB. En 2012, rappelle un peu méchamment Le Monde, il n’a pas tranché, préférant « s’affranchir » du traité de Lisbonne afin de « construire une autre Europe ». Depuis la crise grecque, Mélenchon, comme Le Pen députée européenne, a nettement durci sa position envers Wolfgang Schäuble et le fisc allemand, et a sorti un livre plutôt violent, Le hareng de Bismarck (Le poison allemand). Attaquant la « manière odieuse [dont] la nomenclature allemande a traité le nouveau gouvernement d’Alexis Tsipras », il a surenchéri : « Arrogante comme jamais, l’Allemagne est rendue aux brutalités, chantage et punitions pour ceux qui n’obéissent pas au doigt et à l’oeil au nouvel ordre des choses qu’elle est parvenue à imposer. »
Bien dit, sauf que Mélenchon n’arrive toujours pas à définir une position sur l’euro aussi claire que celle de Marine Le Pen, qui prône l’abandon de la monnaie unique et la restauration d’une devise française si elle en reçoit la permission par référendum. Avec son plan A : « sortie concertée des traités européens » et « négociations d’autres règles » et son plan B : « sortie des traités européens unilatérale par la France », il a l’air équivoque, bien qu’il soit plus sincère que Le Pen. « On la change ou on la quitte », a de nouveau déclaré Mélenchon dans une émission d’Europe 1 le 15 mars, ce qui donne l’impression d’un réformateur, et non pas d’un radical. Et ce qui ouvre la porte à Le Pen, la maligne, pour manipuler la vérité aux dépens de son rival à gauche. Lors du premier débat, le 20 mars, Mélenchon avait évoqué les accusations contre Marine Le Pen et François Fillon pour corruption et emplois présumés fictifs et, avec ironie, avait lancé qu’il n’était « pas interdit aux électeurs de récompenser les vertueux et de châtier ceux qui leur paraissent ne pas l’être ». Le Pen, la vraie radicale de la punition, avait répondu : « C’est Robespierre, quoi. »
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