Le débat est mal engagé, mais discuter, débattre et légiférer à propos de l’immigration est sain et nécessaire.
Un débat mal engagé
Peu sont ceux qui diront que le ministre Jolin-Barrette s’est bien tiré d’affaire dans le débat sur l’immigration jusqu’ici. On a parfois l’impression qu'il est un robot, qu’il est insensible, et le commentariat politique au Québec ne rate pas l’occasion d’insister sur ces traits-là.
Personnellement, je me demande si le ministre trouve le temps de dormir, de se reposer, tant sa charge de travail semble énorme. On a tendance à oublier que la CAQ, n’ayant jamais gouverné, a pris les rênes du Québec en n’ayant presque aucune expérience ministérielle dans ses rangs. La marche est haute pour Simon Jolin-Barrette, comme pour les autres.
La semaine qui se termine est la plus difficile de ce jeune gouvernement. Le premier ministre François Legault doit avoir hâte qu’elle soit derrière lui. Reculs et nécessité de concéder que son gouvernement avait mal fait ses devoirs, dans le dossier du PEQ notamment.
Il est impardonnable que le gouvernement ait foncé sans prendre en compte les conséquences de sa législation sur ceux qui en font les frais: les étudiants étrangers, certes, mais aussi les acteurs du milieu, les collèges en région, les universités aussi, et les collectivités, les employeurs qui profitent de l’apport – indéniable – de cette richesse qu’est l’accueil d’étudiants étrangers.
Le recul partiel du gouvernement devra être accompagné d’une réelle volonté d’écoute. Les milieux universitaires et collégiaux feront connaître leurs doléances, notamment en ce qui a trait au choix des programmes en fonction des «besoins» des milieux d’affaires ou du marché de l’emploi. Il faudra plus de stabilité, de prévisibilité pour que le Québec soit attrayant pour les cerveaux de par le monde.
Espérons que l’avis des acteurs des milieux de l’enseignement postsecondaire comptera autant que celui du milieu des affaires ou du patronat.
Les censeurs
C’est une chose de constater que le débat est mal engagé. C’en est une autre que de se saisir de ce cafouillage pour attaquer, contester la pertinence de débattre d’immigration.
On le remarque encore une fois, il existe pas mal de voix au Québec pour s’indigner du fait même que la discussion se tienne. Pour certains, le seul fait de débattre d’immigration est malsain. Surtout si la discussion implique la remise en question des seuils d’immigration actuels.
Là, c’est l’hérésie.
Disons-le tout de suite, dans ce débat comme dans bien d’autres, les extrêmes devraient dénoncer. D’un côté, il y aura les tenants d’un complot de «grand remplacement» de la population ou, pire – et encore plus loufoque –, d’une «islamisation» sous-jacente à ce grand remplacement.
Foutaise.
De l’autre bord, il y a les grands partisans du «no borders», ces militants pour qui c’est le concept même de «frontière» qu’il faudrait abolir. Pour ceux-là, tout aussi loufoques que les premiers, il ne devrait y avoir aucune restriction à l’entrée au pays. Pourquoi des seuils d’immigration? À bas les frontières et laissez tout le monde entrer!
Ces extrêmes nuisent au débat.
Légiférer en matière d’immigration est sain et nécessaire
Discuter, débattre et légiférer en matière d’immigration est sain et nécessaire. Trop longtemps, le Québec a accueilli sans se soucier des paramètres essentiels à la réussite de l’immigration: l’intégration, la francisation, l’arrimage des seuils d’immigration en fonction de facteurs sociaux importants pour la société d’accueil.
Nous sommes ici au cœur du débat identitaire. Et de deux visions qui s’affrontent.
Dans les années 90, quand le député libéral fédéral Denis Coderre avait suggéré la «déportation» de son vis-à-vis bloquiste Osvaldo Nunez Riquelme parce que celui-ci, un immigrant devenu indépendantiste, souillait son drapeau, on avait compris que, pour plusieurs, l’immigration au Québec devait se traduire par l’adhésion à la société canadienne, et non au nationalisme québécois.
Conséquemment, le refus de s’engager (ou la volonté politique que cela ne se fasse pas) activement, en investissant de manière cohérente et suffisante, dans l’intégration et la francisation des immigrants au Québec, voilà qui se traduira le plus souvent, pour l’immigrant, par l’adhésion aux codes et valeurs «canadiens».
Ne soyons pas dupes. Encore, la volonté politique de se faire discret sur les paramètres essentiels d’intégration à la société québécoise (souvenons-nous du cri du cœur de la vérificatrice générale, en 2017, à propos du fiasco de la francisation des immigrants au Québec), pendant la quinzaine libérale au provincial, n’avait rien de fortuit.
Le Québec compte parmi les sociétés occidentales qui accueillent le plus au prorata de sa population, tout en échouant à intégrer, à régionaliser et à franciser efficacement cette immigration. La recette qui nous a conduits au fractionnement actuel entre Montréal, la première couronne, et le reste du Québec.
En passant, il est interdit d’évoquer «l’instrumentalisation» de l’immigration.
Le premier gouvernement majoritaire post-règne libéral Charest-Couillard se trouve donc devant cette situation. Un Québec fractionné. Un Québec qui s’anglicise, qui se bilinguise. Un Québec où il est devenu périlleux de se faire défenseur de l’identité de la nation. Un Québec où il est périlleux, aussi, de discuter, de débattre d’immigration.
En matière de laïcité (de vivre-ensemble) comme en immigration, le gouvernement de François Legault a choisi d’agir – de manière bien imparfaite chaque fois, c’est vrai – là où le précédent gouvernement (qui a eu amplement le temps d'agir) avait volontairement laissé pourrir les choses.
Facile de pointer vers les Jolin-Barrette et Legault en les accusant de tous les maux. Ils ont pourtant hérité d’un Québec «mur à mur» libéral, un Québec façonné par la quinzaine d’années de pouvoir quasi ininterrompu du PLQ. La pire chose aurait été que la CAQ ne s'attaque pas à ces dossiers du vivre-ensemble et de l'immigration. L'inaction du gouvernement précédent n'était pas inintéressée.
On prend aujourd’hui la mesure de la façon dont Québec a changé pendant ces longues années. Et de la difficulté d’infléchir le gouvernail...