J’ai une grande admiration pour la personne et pour la pensée historique de Gérard Bouchard. Toutefois, je ne peux pas le suivre dans l’article qu’il consacre à la « nationalisation de la laïcité » (Le Devoir, 18 janvier 2020).
Il explique fort bien que, dans un État de droit, la majorité n’a pas tous les droits. Elle est limitée par une constitution, qui a elle-même été consentie par une majorité. Il explique aussi que la communauté québécoise n’est ni uniforme ni statique. En effet, elle évolue d’autant mieux que l’immigration l’y aide. Enfin, il laisse entendre que le gouvernement et la majorité des citoyens sont inspirés par un double mythe national dépassé.
Or ce n’est pas tenir compte de ce que la Constitution qui favorise le bilinguisme et le multiculturalisme a été imposée aux Québécois. Certes, à deux reprises, les Québécois ont rejeté l’indépendance ; ils n’ont cependant pas approuvé la Constitution canadienne. Il eût été simple pour les nombreux gouvernements libéraux de le vérifier en proposant un référendum sur la Constitution canadienne. Il est significatif qu’ils ne l’aient pas fait.
Or l’évolution du pays a été profondément marquée par la Constitution de 1981. Les effets de la loi 101 ont été enrayés par la Cour suprême. L’immigration contrôlée par le Canada orientait une bonne partie des nouveaux venus vers la communauté et la langue anglaises. Et on constate aujourd’hui que Montréal s’anglicise ! « Les minorités y sont majoritaires. » Plutôt que d’être un lieu d’inclusion, la ville devient une agglomération de communautés diverses. Cela n’est pas la faute des immigrants, mais résulte d’une action politique concertée du pouvoir fédéral.
Cette action est soutenue par ce que j’ai appelé la francophobie populaire, ce mépris larvé qu’on nomme pudiquement Quebec bashing. Elle conduit à culpabiliser les Québécois à tout propos, sous les reproches de racisme et de xénophobie. Ou à considérer que l’attachement des Québécois à leur identité est une forme de tribalisme archaïque. L’intériorisation de ce sentiment a permis aux gouvernements libéraux de laisser se dégrader la langue et l’identité québécoises.
Identité
L’« identité » n’est pas un mot sale ni univoque. L’identité d’un État, d’un peuple ou d’une nation évolue et s’enrichit habituellement d’apports extérieurs. Certes, des personnes conservatrices restent attachées à une identité ancienne, au Québec comme ailleurs et dans beaucoup de communautés d’immigrants.
Mais autant que j’aie pu le constater, même en région, particulièrement au Saguenay, la plupart des Québécois sont accueillants et ouverts. Les maladresses et l’étroitesse de la politique d’immigration du gouvernement Legault sont regrettables, malgré l’intention proclamée de faciliter l’intégration des nouveaux venus par l’emploi et la langue.
Le débat sur la laïcité est resté longtemps affaire de juristes. Il a en effet « basculé avec François Legault et la CAQ ». Il est devenu partie d’un redressement national. Le Québec constitue une minorité culturelle fragile dans l’environnement continental. Les nouveaux visages de l’impérialisme sont maintenant le multiculturalisme, la Charte canadienne et la Cour suprême. Ce sont d’abord des faits massifs observables et non des mythes. Que des faits prennent un tour mythique dans la motivation affective de certains citoyens, c’est aussi ce qu’on observe souvent.
Dans ce débat, le gouvernement a bousculé certaines habitudes juridiques. Il a bien fait et j’espère que, si cela devient nécessaire, il le fera aussi dans le prochain débat sur la langue. Car après trente ans d’immobilisme, il est urgent de réagir. François Legault a choisi de réagir dans le cadre fédéral. Espérons qu’il n’y sera pas écrasé.