L’arrestation de plusieurs pontes de l’institution, mercredi à Zurich, ne devrait pas empêcher la réélection de Sepp Blatter à la tête d’une organisation où la corruption serait «systématique».
Vendredi, Sepp Blatter pourrait bien être réélu président de la Fédération internationale de football pour un cinquième mandat. En 2011, lors de sa dernière reconduction à la tête de l’institution gérant le sport le plus populaire et le plus lucratif au monde, il avait pourtant juré que c’était la der des ders. Combien de suffrages recevra-t-il de la part des représentants des 209 fédérations nationales (plus que de membres à l’ONU, qui n’en compte que 193) ? Peut-être un peu moins que prévu, car sept membres de la Fifa ont été interpellés mercredi à Zurich avant d’être suspendu par la fédération internationale. Dans la foulée, on apprenait que la justice suisse, peu active jusqu’à présent, avait lancé, en mars, une enquête sur les conditions d’attribution des Coupes du monde 2018 en Russie et 2022 au Qatar (lire ci-contre). Une profanation pour cette institution largement discréditée, campant jusqu’à présent sur son imperium planétaire ? Même pas.
DE L’ART DE METTRE LA MAIN SUR LA FIFA
En 1998, aidé d’un certain Michel Platini, Sepp Blatter est élu président de la Fifa, un peu à la surprise générale, alors que le Suédois Lennart Johansson était favori pour succéder au Brésilien João Havelange. Entre autres atouts avouables, le Suisse dispose d’une parfaite connaissance de l’institution dont il est le secrétaire général depuis 1981. Il n’a jamais lâché le manche depuis.
Pourtant, en 2002, le coup est passé près. Au congrès de Séoul, en marge de la Coupe du monde nippo-coréenne, les remous de la faillite de la société ISL, qui gère les contrats marketing et télévisuels de la Fifa, auraient pu l’entraîner. Il s’en sort magistralement face à la candidature d’Issa Hayatou, le président de la confédération africaine, vrai-faux opposant car partie prenante du système.
La méthode Blatter : un mélange de fausse bonhomie et de vrai machiavélisme, de profonde connaissance du milieu et des hommes qui le composent. Et une absence totale de scrupules. «Blatter n’a pas beaucoup de vrais amis, à part sa fille et la Fifa, bien sûr, témoignait récemment dans l’Equipe un ancien cadre de la Fifa. Quand les hommes autour de lui deviennent trop forts, il les élimine, il les tue.»
C’est le b.a.-ba de la méthode Sepp Blatter : faire monter ses ennemis tout en les fragilisant. A part l’affaire ISL, il n’a pas vraiment de casseroles. Mais il sait tout sur tout le monde. Et chaque fois qu’un de ses adversaires jette l’éponge, comme Michel Platini en janvier, le Landernau s’agite et imagine qu’il a un dossier en béton armé contre lui. Nombre de ceux qui l’ont combattu sont tombés, pris la main dans une enveloppe de billets verts, comme Mohamed Bin Hammam, qui l’avait défié.
DE L’ART D’ÉTOUFFER L’EUROPE
La position de force du président sortant a de quoi faire crever de jalousie n’importe quel candidat à une présidentielle française. Damian Collins, parlementaire britannique et ancien défenseur d’une réforme de la Fifa, a résumé pour l’International Herald Tribune le sens politique d’un Blatter :«Chez lui, tout est calculé. Il parle à tous les petits pays qui n’organiseront jamais le Mondial, mais qui veulent continuer à rêver qu’ils le feront un jour et veulent se sentir importants.» Blatter a apporté le Mondial à l’Asie, à l’Afrique, au monde arabe, rêve d’organiser un match de foot entre Israël et la Palestine (même si la seconde milite pour l’exclusion du premier de la Fifa…).
Pourquoi diable voter contre lui ? Seule la confédération européenne (UEFA), présidée par Michel Platini, a pris officiellement position en faveur de son opposant déclaré, le prince Ali, demi-frère du roi de Jordanie - mais qui n’est pas soutenu par la confédération arabo-asiatique. Mercredi, l’UEFA a demandé le report du congrès de vendredi, et donc de l’élection. En 2011, Platini avait poussé l’UEFA à soutenir Blatter, lors de la précédente élection, «sur la base d’une promesse qu’il avait faite», celle d’un «dernier mandat». Il a aujourd’hui «la désagréable impression» de s’être «engagé personnellement sur la base d’un mensonge», répétant, comme il le dit depuis un an, que «la Fifa a besoin d’un nouveau leader, de sang neuf et d’air frais» : «Tant qu’il restera en place, la Fifa aura un déficit de crédibilité, d’image et donc d’autorité». Mercredi soir, l’UEFA demandait un report du vote.
DE L’ART DE DISTRIBUER LES PRÉBENDES
Le veau d’or de la Fifa tient en un chiffre : 5,7 milliards de dollars (5,2 milliards d’euros), montant de ses recettes quadriennales, essentiellement liées à l’organisation du Mondial (d’où la quadriannualité des comptes). «Nous démarrons un nouveau cycle commercial», plastronne Sepp Blatter à l’ouverture du congrès de la Fifa, comme un patron du CAC 40 ou du Dow Jones. Il en redistribue l’essentiel (72%), selon des modalités automatiques (rémunérations des équipes participantes, du pays organisateur…). Mais aussi à discrétion, sous couvert de développement local du ballon rond. Fort de cette cagnotte, Sepp Blatter joue au père Noël à travers la planète. Générosité, clientélisme ou corruption ? Tout l’art consiste à naviguer entre les lignes. Demeure ce constat : seule l’Europe, terre d’origine du football, est vent debout contre lui. Tous les autres continents, ses obligés, militent en sa faveur. Chacun aura son opinion sur le fonctionnement plus ou moins bananier du système.
La Fifa ne s’oublie pas au passage. Son propre budget de fonctionnement oblitère 20% des recettes globales. Charges salariales (474 employés en Suisse) : 400 millions de dollars sur quatre ans. Sepp Blatter en personne émarge à plusieurs millions par an. Toujours à son souci de «bonne gouvernance», suspecte à force d’être brandie en bandoulière, la fédération internationale excipe d’un audit comparatif auprès «d’importantes entreprises de la communication, de la publicité et des médias», pour justifier que «la rémunération de ses plus hauts dirigeants se situe dans le groupe de référence».
Autres gros postes de dépenses, 100 millions de dollars de communication, autant de frais juridiques : la com et l’avocature, les deux mamelles du football mondialisé.
DE L’ART D’ÉLIMINER LA CONCURRENCE
Lennart Johansson ? Concurrent suédois écarté en 1998, après une campagne sur son âge (68 ans à l’époque). Il s’est retiré au second tour, battu de peu au premier (118 voix contre 80). Issa Hayatou ? Le très controversé quoi qu’inamovible président de la confédération africaine lance une candidature de témoignage en 2002. Battu largement (139 voix contre 56 au premier tour), il rentre sagement dans le rang. A la surprise générale, il vient d’être bombardé président de la commission des finances de la Fifa. Dans le contexte actuel, le foutage de gueule n’est pas loin. Mohamed Bin Hammam ? Candidat à la présidence de la Fifa en 2007, son histoire vaut le détour. Ce hiérarque qatari a arrosé la planète foot (sauf peut-être l’Europe). Pour ce crime de lèse-majesté, il sera exclu de la maison. En revanche, les mêmes pots-de-vin destinés à acheter les suffrages en vue de l’obtention du Mondial 2022 au Qatar seront absous. Une caricature de deux poids-deux mesures que l’intéressé ne peut plus guère contester : l’émir du Qatar l’a assigné à résidence, avec interdiction d’ouvrir sa gueule.
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