Je me souviens de ce colloque à l'université d'Aalborg au printemps 1996 (au nord du Jutland, la grande presqu'île danoise), et de cet Américain qui m'avait confié qu'il vivait à Hiroshima. Mais ajoutait-il, avec mon apparence physique (tenant peu du grand blond aux yeux bleus), ça va! il est possible pour moi de vivre à Hiroshima! Je lui avais demandé : que pense-t-on de l'Europe dans le monde? Il m'avait répondu que c'était la «Région» la plus «humaine sur le globe».
Le beau projet européen
A l'époque, je croyais encore à la beauté du projet européen malgré toutes les réserves que j'avais lues sur le Traité de Maastricht rendant la Banque centrale européenne totalement indépendante du pouvoir politique, malgré l'analyse lucide d'un politologue danois, pas forcément anti-allemand, mais constatant froidement que c'était l'Allemagne qui de tous les pays européens était celui à qui l'Europe permettait le mieux de poursuivre ses objectifs ou ses projets nationaux. L'une de ses conclusions les plus frappantes m'interpelle toujours aujourd'hui, car, face à la crise actuelle où l'Allemagne impose ses solutions même à la France, le deuxième pays politiquement et économiquement le plus fort d'Europe, ces lignes d'alors ont de quoi faire réfléchir : «Le discours suprational et l'idéalisme supranational est le plus prononcé dans le pays (l'Allemagne) qui a le plus profité de l'Europe, comme Etat-Nation; et vice versa. Ce que ceci manifeste, c'est que le supranationalisme et le couple intérêt national/nationalisme sont liés l'un à l'autre non pas comme des éléments opposés mais complémentaires, que le supranationalisme est pièce et partie d'un même discours, national quoique non nationaliste. Ou, pour le dire autrement, un intérêt national donné peut se renforcer par le biais d'une rhétorique qui évite le [nationalisme->p://www.larevuetoudi.org/fr/story/nationalisme-et-supranationalisme-en-allemagne-danemark-et-grande-bretagne].»
Ce que l'on lit aujourd'hui chez les responsables allemands confirme tout à fait cette analyse. L'Allemagne n'adopte pas un profil triomphaliste. Elle impose sa politique économique à l'Europe. Les partisans de l'Europe critiquent ceux qui prétendent que l'Allemagne est trop forte et disent que les Français ne prennent pas leurs responsabilités. Mais qu'est-ce que ce serait, «prendre ses responsabilités»?
D'une certaine manière l'Union européenne fonctionne sur le mode impérial dominé par une Allemagne sans triomphalisme mais qui au fond est le coeur de cet Empire.
Mélenchon
A l'émission de France 2 Des paroles et des actes, il y a quelques jours Mélenchon est revenu sur cette idée de l'illégitimité des dettes qui pèsent si lourdement sur les Etats européens qu'ils sabrent tant sur leurs dépenses, qu'ils semblent organiser la récession qu'ils disent combattre et même l'aggravent. Notamment sur la base de calculs d'économistes du FMI sur les performances des pays fortement endettés contenant de stupides erreurs. Mélenchon, à cette émission dirigée par le présentateur Pujadas, a réussi à déstabiliser ceux qui l'interrogeaient pendant deux heures. On voyait bien que toutes les questions qui lui étaient posées avaient pour but de montrer que, son projet allant à l'encontre de la façon dont on conçoit la politique économique actuellement et la politique européenne, il ne pouvait que se casser la figure. Mais la plupart du temps Mélenchon a retourné les questions qu'on lui posait en déconstruisant le conformisme absolu de la plupart des médias français qui sont toujours dans la logique qu'impose le néolibéralisme, à savoir qu'il n'y a pas d'alternative à la politique qui est menée. A la politique de l'Empire perse.
Bruno Roger-Petit écrit que Des paroles et des actes«est une émission ontologiquement de droiteen ce que la question du vivre ensemble, la question centrale du politique, est évacuée parce que considérée implicitement comme réglée : le vivre ensemble ne peut se concevoir que dans le cadre d'une économie libérale, dans un monde conservateur triomphant, aux contours aussi immuables et figés que le cadre de l'émission.» Dans cette émission, Mélenchon a simplement dit à un moment donné que la France détenait une arme économique nucléaire à savoir la hauteur de sa dette publique qu'elle pourrait tout aussi bien menacer de ne plus rembourser, ce qui, effectivement serait une manière de déstabiliser complètement l'économie mondiale (la dette de la petite Grèce a déstabilisé l'Europe), et annoncerait le retour d'une volonté nationale et démocratique contre la toute-puissance de la finance internationale et de son relais impérial en Europe.
Des mots pour vivre et pour mourir
D'une certaine façon la politique doit dire les mots pour vivre et pour mourir. L'éditorial de la nouvelle directrice du journal Le Monde, Natalie Nougayrède, ce mardi 30 avril, personne compétente s'il en est et d'une immense culture, avait quelque chose de consternant : tous les problèmes de l'Europe viendraient d'une mondialisation qu'elle n'assumerait pas. Et d'énumérer les pays qui l'assumeraient comme le Mexique par exemple, le Brésil, l'Indonésie, ensembles politiques pourtant bien moins importants que l'Europe, bien moins puissants, bien moins performants. [[A côté de cela l'article du journal Le Monde diplomatique de ce mois de mai de Serge Halimi, Etat des lieux pour préparer une reconquête, dégage des perspectives bien plus encourageantes et plus universelles montrant à quel point ce qui fait crever l'Europe fait aussi crever le monde : 83 milliardaires au Parlement chinois par exemple, cela fait réfléchir. On trouvera aussi dans cet article l'illustration de la remarque de Jorion disant que les riches finissent par avoir de l'argent à ne plus savoir qu'en faire étant donné que leur rapacité, en ruinant tout le monde, finit par rendre leur richesse stérile.]]
Il est assez caractéristique que le Premier ministre italien en visite à Bruxelles avant-hier ait dit que les Européens ne s'en sortiraient que tous ensemble. L'idée d'agir «tous ensemble» semble une bonne idée. Mais est simplement d'une imprécision totale. Car, après tout, les pays européens de l'Europe occidentale agissaient déjà «tous ensemble» avant le Traité de Rome en 1957 ou avant le Traité de Maastricht en 1992. Mais aujourd'hui, ils sont tellement liés les uns aux autres et ils ont tellement voulu se lier les uns aux autres, qu'ils ont organisé leur propre impuissance sous la gouverne modeste (mais impérieuse) de l'Allemagne. On me dit depuis 50 ans que l'Europe ne s'imposerait à nouveau dans le monde que si elle s'unit, que si elle redevient «grande». Et elle l'est redevenue. Elle est la 3e population mondiale et la 1ère économie mondiale mais elle n'a jamais été aussi impuissante à force de s'élever à ces dimensions-là. Elle n'a jamais été aussi désunie à force de vouloir s'unir! L'Union européenne est en train de détruire l'Europe.
L'Europe des 27 est divisée en deux camps, la zone euro (17 pays) et ceux qui sont en dehors (les dix autres). A l'intérieur de la zone euro, il y a les pays de la Méditerranée qui sont ruinés pour longtemps (Grèce, Portugal, Espagne, Chypre, Slovénie et peut-être Malte et, dans une autre région, l'Irlande); ceux du nord avec l'Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande, l'Autriche, le Luxembourg, peut-être la Belgique (mais la Belgique est elle-même divisée), et au centre des pays en graves difficultés mais dont le profil n'est celui, ni des pays du Nord, ni des pays ruinés de la Méditerranée, la France et l'Italie précisément. Un autre édito du Monde que j'ai cité aussi dans une chronique récente se demandait pourquoi ces deux pays ne pourraient obtenir de l'Allemagne une dévaluation de l'euro qui les mettraient plus à l'aise. Je rencontre des économistes qui me disent qu'en France, la prochaine élection présidentielle se jouera entre Mélenchon et Le Pen car il existe tant du côté de la droite extrême que de la gauche radicale une volonté de sortir de la crise actuelle qu'incarne en Italie le populiste Grillo.
Nous on peut
A ce 1er mai alternatif organisé à Charleroi par la FGTB wallonne en cette région de Wallonie qui prend ses distances à l'égard du PS, on critique beaucoup la politique d'austérité menée par le PS (en principe la FGTB wallonne lui est liée), durement, radicalement, parlant d'organiser une alternative de gauche politique avec les partis à la gauche de la gauche qui sont en train d'émerger. Je regrette pour ma part que l'on n'y ait pas parlé assez de la Wallonie et de l'Europe. Car toutes ces difficultés viennent aussi d'une certaine façon de se comporter à l'égard des problèmes de la dette publique que nous remboursons déjà depuis trente ans comme si nous étions abonnés à de telles dettes pour l'éternité, ce que fait penser cette observation que, depuis trente ans que nous remboursons des dettes dans l'Etat belge, les dépenses de cet Etat demeurent étonnamment stables proportionnellement aux richesses produites. Il en va d'ailleurs de même pour la France.
Ces dettes, on n'en finit pas de les rembourser depuis la fin des années 70. Au moment où, dit un économiste comme Olivier Bonfond, les banques avaient besoin de clients solvables et ont trouvé les Etats. A qui elles ont imposé des taux d'intérêts très élevés, ce qui rend le remboursement du capital impossible, même à long terme. Ne s'agit-il donc pas d'un tribut?
La Wallonie, parlons-en! L'accord du Parlement wallon est nécessaire pour que la Belgique ratifie le traité sur l'austérité qui va marquer encore un recul vers une plus grande impuissance de l'Europe et un recul de la démocratie, puisque l'on veut imposer aux Parlements souverains (comme l'est le Parlement wallon), de ne plus pouvoir tolérer un déficit supérieur à 0,5% du PIB. On veut des Etats qui ne devraient plus emprunter! Or personne n'est jamais mort d'avoir des dettes mais les seuls qui n'aient pas de dettes sont les morts.
Un non du Parlement wallon ne serait-il pas une manière de signaler les difficulté extrêmes dans lesquelles nous entraîne l'engrenage européen depuis 50 ans aussi fatal et meurtrier que les engrenages qui (par systèmes d'alliances et de traités à nouveau), ont entraîné en 1914, l'Europe au suicide de la Grande guerre? Oui, ce serait un simple coup de semonce. Mais tout de même! [Il faudrait aussi que dans le monde politique wallon on cesse de rêver - si on peut appeler cela rêver! - de l'Europe des régions qui n'est qu'un rêve néolibéral [antidémocratique, d'ailleurs impossible à réaliser. C'est dans le concert des nations d'Europe que la Wallonie doit ambitionner de se placer.]]
Et la Wallonie oui! Les Chinois, pour sauvegarder leur bois sont en train d'opérer des razzias dans les forêts wallonnes au point d'y ruiner toute l'industrie de transformation du bois. Il ne s'agit pas d'avoir un discours anti-chinois, cela n'a aucun sens. Mais l'impuissance du politique en Europe (que ce soit celui d'une Région fortement autonome comme la Wallonie ou d'Etats comme la Belgique et la France), est devenue incroyable. Ne serait-il tout simplement pas légitime que la Wallonie défende ses forêts? Il paraît que les règlements internationaux l'interdisent!
Cette jeune femme au 1er mai alternatif de la FGTB wallonne à Charleroi me dit que lorsqu'elle est désespérée, elle écoute Mélenchon sur you tube. Que faire d'autre pour le moment?
Songer au fait avéré dans l'histoire que tout Empire est fait pour périr.
Songer que l'Empire perse avec ses armées démesurées, la mégalomanie du Roi des Rois a fini par être complètement disloqué par une Grèce dont les
Cités étaient souveraines, indépendantes et capables de s'unir. Avec ses dimensions ridiculement démesurées proportionnellement à des dettes qui le sont tout autant, l'Europe fait songer à l'Empire perse.
A bas l'Empire perse!
A bas l'Empire perse!
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
Cliquer ici pour plus d'information
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
6 mai 2013M. Fontaine,
Moi je pense que, en essayant de rehausser la crédibilité de celui qui aux dernières présidentielles n'aura fait que jouer les rabatteurs au profit de François Hollande, vous vous moquez de vos lecteurs.
Gilles Verrier