Comme son ancien patron Brian Mulroney l'a déjà dit en d'autres circonstances, Jean Charest vient de lancer les dés, jouant le tout pour le tout dans une très rare campagne estivale aux résultats imprévisibles. Car il est bien révolu le temps de l'alternance quasi automatique entre les deux «vieux partis», qui s'échangeaient le pouvoir après deux mandats majoritaires. Il y a maintenant plusieurs joueurs autour de la table, ce qui complique sérieusement les prédictions... et la stratégie électorale des partis. Les dés seront utiles dans cette campagne, qui risque de prendre des airs de jeu de serpents et d'échelles, avec des obstacles, de mauvaises surprises, des glissades, des échappées, le tout étalé sur 34 jours (35 jours si on inclut la journée du vote).
Survol d'un terrain de jeu électoral inusité dans un Québec en ébullition.
Les principaux champs de bataille
Au Québec, depuis quelques élections, on dit souvent que ça se règle dans le 450. C'est vrai, mais il ne faudrait pas oublier non plus le 418, plus particulièrement la région de Québec, qui pourrait faire ou défaire le gouvernement. La CAQ jouit d'un bon appui, mais les libéraux mettent toute la gomme pour garder leurs sièges. Quant au PQ, il sait qu'il doit faire des gains dans les régions chaudes, dont Québec. Dans Taschereau, seule circonscription qu'y détient le PQ (Agnès Maltais), la lutte sera particulièrement relevée avec l'arrivée du ministre Clément Gignac.
Dans le 450, il faudra surveiller Laval, où quatre des cinq circonscriptions sont théoriquement en jeu. En 2007, Laval a résisté à la vague adéquiste, ce qui a permis aux libéraux de garder le pouvoir de justesse. Aux élections fédérales de 2011, toutefois, la vague orange a déferlé sur Laval, emportant le Bloc et les libéraux.
CAQ, QS, ON: jokers ou king makers?
Les guerres régionales et dans certaines circonscriptions urbaines, déterminantes pour le résultat de ces élections, seront pimentées, dans bien des cas, par la présence d'un joker, un candidat d'un tiers parti qui pourrait soit diviser le vote, soit même remporter la mise.
Bon deuxième dans l'électorat francophone, le parti de François Legault sera compétitif dans plusieurs circonscriptions, notamment dans Lanaudière et dans la grande région de Québec. La question est de savoir à qui, entre PLQ et le PQ, il prendra des votes.
À Montréal, où on peut habituellement peindre la carte électorale en rouge et bleu avant le début de la campagne, la présence de Québec solidaire dans les circonscriptions francophones du centre complique les choses pour le PQ. Après avoir causé la surprise dans Mercier en 2008 (Amir Khadir), QS mise sur Gouin avec Françoise David, ainsi que sur Hochelaga-Maisonneuve, Rosemont, Bourget et Sainte-Marie-Saint-Jacques.
QS représente une option pour les électeurs qui rejettent les deux «vieux» partis. Les péquistes croient toutefois pouvoir profiter du ras-le-bol des francophones de Montréal à l'égard du gouvernement Charest, exprimé notamment à grands coups de casseroles. «On pense que les électeurs vont se mobiliser derrière le PQ pour s'assurer de battre les libéraux au lieu de diviser le vote», m'a confié récemment Nicolas Girard, député de Gouin, qui affronte Françoise David.
Crémazie est une autre circonscription-témoin à surveiller. Péquistes et libéraux se l'échangent depuis quelques élections, mais une bonne performance de QS nuirait certainement au PQ. Dans une lutte serrée, toutes les circonscriptions comptent.
Il y a aussi le cas ON, Option nationale, parti indépendantiste dissident dirigé par l'ancien péquiste Jean-Martin Aussant. M. Aussant devra d'abord se battre pour garder son siège (Nicolet-Yamaska, redécoupé pour devenir Nicolet-Bécancour). Globalement, ON est plutôt marginal mais, dans certaines circonscriptions francophones, à Montréal notamment, il pourrait gruger des appuis au PQ.
Vous avez dit «enjeux» ?
Jean Charest voudrait bien que cette campagne porte sur la bataille des droits de scolarité et sur les projets référendaires du PQ, mais d'autres enjeux pourraient bien s'inviter en cours de route.
Le thème du changement est vieux comme le monde en politique, mais après plus de neuf ans au pouvoir, les libéraux auront du mal à esquiver cette question. D'autant plus que l'éthique, le point faible des libéraux, occupera une place centrale sur la scène électorale.
L'exploitation des ressources naturelles et la question des redevances devraient aussi alimenter les débats. Jean Charest aurait bien voulu que son Plan Nord devienne sa carte maîtresse dans cette campagne électorale, mais les retombées réelles de ce grand projet restent, pour le moment, plutôt vagues, en plus de soulever des questions environnementales importantes.
L'état général de l'économie québécoise, bonne malgré la crise mondiale, joue en faveur des libéraux, et comptez sur Jean Charest pour opposer stabilité (la réélection de son gouvernement) à chaos (le PQ de Pauline Marois, la rue, les carrés rouges et le référendum). Ça non plus, ce n'est pas très original, mais Jean Charest connaît cette partition par coeur et elle l'a plutôt bien servi par le passé.
Pauline Marois devra assurément répondre aux inévitables questions sur un éventuel référendum sur la souveraineté du Québec, d'autant que son parti veut permettre les référendums d'initiative populaire.
Un débat classique entre libéraux et péquistes sur cette question pourrait toutefois favoriser la CAQ. En 2007, un affrontement Charest-Boisclair sur l'avenir du Québec avait permis à l'ADQ de Mario Dumont de faire le plein de votes.
La campagne ne se transformera peut-être pas en référendum sur la question des droits de scolarité, comme le souhaite M. Charest, mais le conflit étudiant pourrait devenir un facteur déterminant.
Il suffirait de quelques manifestations violentes durant la campagne pour donner des munitions aux libéraux, ce que craignent d'ailleurs les péquistes. «On n'a aucun pouvoir sur les étudiants, sur la CLASSE en particulier, mais on espère vraiment qu'ils ne feront pas le jeu de Jean Charest en brassant trop fort pendant la campagne», explique un député du PQ.
Candidats vedettes, bourdes magistrales?
Tous les partis politiques veulent des candidats «vedettes» et, malgré le cynisme ambiant, la récolte 2012 est plutôt bonne, en particulier pour le PQ et la CAQ. Ils apportent prestige et notoriété, mais tous les organisateurs politiques se méfient d'eux parce qu'ils sont difficiles à diriger, qu'ils jouent parfois les divas et qu'ils n'en font qu'à leur tête. Essayez donc d'imposer des «lignes de presse» à un Jean-François Lisée ou à un Gaétan Barrette!
Les candidats vedettes ont aussi un passé, un bilan, du vécu, quoi - autant de matière pour leurs opposants.
À l'inverse, il y a aussi les candidats «obscurs», qui n'ont le plus souvent aucune chance de gagner mais qui peuvent faire très mal à leur parti avec des déclarations malheureuses. Mario Dumont en sait quelque chose, lui qui a dû expulser un candidat en pleine campagne, en 2007. François Legault, lui, a éjecté un de ses candidats avant le début de la campagne.
Les médias sociaux (et leur faune)
Avec leurs autocars, leurs horaires longs et exigeants, leurs budgets, avec toute leur logistique, les campagnes électorales demeurent lourdes et complexes, mais l'arrivée des médias sociaux ajoute un élément de souplesse et de rapidité. Pour les partis politiques, qui apprivoisent encore le 2.0, Twitter et Facebook sont toutefois des armes à double tranchant.
François Legault en a fait la démonstration: il suffit d'une déclaration controversée de moins de 140 caractères pour mettre le feu à la twittosphère. Il y aura d'autres incidents, c'est certain, tant que les candidats n'auront pas appris à se tourner les pouces sept fois avant d'appuyer sur «envoyer» ...
Par contre, l'arrivée remarquée du chef de la CAQ sur Twitter lui a donné une visibilité inespérée (et gratuite), qui n'est probablement pas étrangère à la remontée de son parti dans les sondages. Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en!
Les médias sociaux permettent des débats, parfois même directs, entre politiciens et électeurs, et c'est le moyen le plus simple, pour les partis, de passer des messages sans filtre. Outils idéaux pour mobiliser les troupes, les médias sociaux deviennent aussi rapidement un catalyseur pour les opposants et les détracteurs.
Il faudra aussi garder un oeil sur YouTube, ce moyen efficace, gratuit et anonyme qui permet à quiconque de lancer une bombe vidéo en pleine campagne. Et comme il y a pas mal de groupes organisés très en colère contre le gouvernement, inquiets devant la CAQ ou hostiles au PQ, ça pourrait être laid.
À quel Jean Charest aurons-nous droit?
En 2008, Jean Charest a mené une campagne disciplinée, sans faute, axée sur son unique message (l'économie), ce qui lui aura permis de regagner une majorité. Du bon Jean Charest, presque toujours redoutable en campagne. Presque toujours, parce que, en 2007, il l'avait complètement échappé (ses conseillers en parlent encore avec dépit).
Cible de toutes les attaques, accusé ouvertement de corruption par ses adversaires, comment réagira Jean Charest pendant les 34 prochains jours? Et jusqu'où iront les autres chefs pour mettre en doute l'intégrité du premier ministre sortant?
Il y a aussi le petit nouveau, François Legault, pas particulièrement charismatique, mais visiblement très motivé. Et qui frappera fort pour remonter.
Gouvernement minoritaire?
Il est tôt, évidemment, pour en parler, mais puisque la question se posera inévitablement, aussi bien l'aborder tout de suite: risque-t-on de se retrouver avec un gouvernement minoritaire? La réponse courte est oui, mais ça se complique lorsqu'on analyse les différents scénarios en y ajoutant la variable «balance du pouvoir».
À moins qu'un des partis ne se détache franchement du peloton durant la course, le jeu des alliances et la possibilité d'un gouvernement de coalition apparaîtront en fin de campagne.
L'apathie
Cette campagne électorale est ma 12e, la première en plein été. En déclenchant des élections maintenant, Jean Charest aura donné de nouveaux arguments aux partisans d'un scrutin à date fixe.
Notre démocratie est déjà assez mal en point, l'apathie et le désabusement des électeurs sont déjà suffisamment profonds, inutile de leur donner une raison de plus de décrocher. À moins, bien sûr, d'y voir un avantage stratégique.
Cela dit, les absents ont toujours tort, et ce sera particulièrement vrai le 4 septembre.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca
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