Dans son essai au nom direct, Nous, l’ancien conseiller de Jacques
Parizeau Jean-François Lisée expose sa vision personnelle quant au présent
débat touchant essentiellement aux accommodements raisonnables et à
l’identité québécoise. Il est nécessaire de réagir à certaines des points
de vue véhiculés par ce livre et qui furent rapportés par les médias.
La plus grande idée de ce livre est sans doute de créer une citoyenneté
qui serait nécessaire pour obtenir le droit de vote et se présenter aux
élections québécoises. Plusieurs raisons motivent cette idée. La première
est la volonté du peuple québécois d’intégrer ses immigrants. L’avenir du
fait français en Amérique du Nord en dépend, considérant la faible natalité
de notre nation. Au-delà de la question de l’intégration, il y a aussi
celle, taboue, qui est politique. Plusieurs souverainistes ont été choqués
que, lors du dernier référendum, le gouvernement canadien se soit servi des
immigrants comme des marionnettes à des fins purement politiques, même si
cela allait à l’encontre de la loi. La création d’une citoyenneté
québécoise était alors présentée par plusieurs comme étant la solution :
les immigrants devraient respecter l’hypothétique Loi sur la citoyenneté
québécoise afin d’avoir le droit de vote, rendant en théorie caduque
l’utilisation de l’immigration pour « sauver le Canada ». La création
d’une citoyenneté québécoise serait la bienvenue, quoique cela risque de
nous faire oublier l’essentiel : notre libération.
Une infraction au droit à une éducation en français
Or, c’est là que tout dérape. Le Québec-Pays de M. Lisée serait
essentiellement un mini-Canada. D’abord, il remet en question un consensus
social existant au Québec depuis trente ans en ce qui concerne le droit
pour « [t]oute personne admissible à l'enseignement au Québec […] de
recevoir cet enseignement en français (Loi 101, art. 6) ». Nous propose la
fusion des réseaux collégiaux français et anglais du Québec en un réseau…
bilingue! Toute personne serait donc forcée, même si cela va à l’encontre
d’un droit linguistique fondamental, de suivre une partie de sa formation
en anglais pour obtenir un diplôme d’études collégiales (DEC).
Pourtant, il y a déjà deux cours d’anglais obligatoires au cégep.
Pourquoi en demander plus? On ne peut comparer l’immersion en anglais au
cégep à l’immersion en anglais au primaire et au secondaire. J’ai moi-même
participé à un programme d’anglais intensif lorsque j’étais en sixième
année. L’inscription à un tel programme était volontaire et non
obligatoire comme le projet de Lisée.
Lors de la période consacrée à l’anglais, on écrivait des textes sur ce
qui nous plaisait, on apprenait des chansons, on écoutait des films et on
participait à des jeux. Bref, on s’amusait. Or, la formation collégiale,
ce n’est pas de la rigolade. On y apprend des choses qui nous serviront
toute notre vie, surtout dans le cas des techniques. Donner une partie de
cet enseignement en anglais ne ferait qu’aggraver l’anglicisation du
vocabulaire lié à l’emploi, ce qui irait à l’encontre de l’une des raisons
ayant mené à la rédaction de la Charte de la langue française.
Bien entendu, le statu quo n’est pas plus acceptable. On peut se
demander pourquoi le Québec maintient deux réseaux, ce qui en fait une
exception à l’échelle mondiale, alors que rien ne l’y oblige. La Charte
canadienne des droits et libertés garantit l’accès à des écoles primaires
et secondaires en anglais aux anglophones du Québec ; rien n’est écrit à
propos des cégeps, une invention québécoise, et les universités.
Considérant les problèmes de sous-financement de l’enseignement
postsecondaire, il faudrait sérieusement envisager la possibilité de
franciser les cégeps et universités anglophones. Ensuite, on pourra fermer
les institutions scolaires du Québec qui seront vides ou désuètes.
Nous, les « Nous »
Cela dit, c’est plutôt lorsque Jean-François Lisée commence à parler des «
Nous » qu’il perd de la crédibilité ou à tout le moins de la cohérence. Le
titre de son essai ne constitue pas un « Nous » rassembleur, mais plutôt un
« Nous » fermé et immuable. C’est ce « Nous » qu’il faut critiquer,
puisqu’il représente essentiellement le Blanc Français Catholique, copie
québécoise du White Anglo-Saxon Protestant.
Il traite du « Nous » francophone, du « Nous » de la minorité anglophone,
du « Nous » des communautés culturelles, etc. Chacun dans son coin, c’est
si simple! Cette division est une copie parfaite du multiculturalisme,
doctrine qui fut utilisée afin de tuer à petit feu le projet souverainiste.
Pourtant, hors Québec, il n’y a qu’un seul « Nous », le « Nous » canadien.
Pourquoi serait-ce différent ici? Cette question reste sans réponse.
Dans une [entrevue accordée à Élias Levy->10450], l’auteur de Nous critique le fait
que, « surtout dans le camp souverainiste, on a l’impression qu’on veut que
le Québec devienne aussi francophone que l’Ontario est anglophone ». Si
l’indépendance ne permet pas de faire du Québec un État français, alors à
quoi bon l’indépendance ? L’objectif n’est pas de permettre la survivance
de la majorité francophone, qui est de facto une minorité au Canada, en la
protégeant de l’« Autre », mais plutôt d’intégrer ces gens à la population
française ; ce qui est nécessairement dans les intérêts des uns et des
autres. Comme le disait le jeune intellectuel Mathieu Bock-Côté, «
s’intégrer à une société consiste à apprendre à dire « Nous » avec elle ».
Le Québec doit s’approprier un « Nous » rassembleur. Le nationalisme au
Québec n’est pas basé sur l’origine nationale, sur la race, sur la langue
maternelle ou sur la croyance religieuse. Il est basé sur la langue
d’usage. Ainsi, Nanette Workman est bien plus Québécoise que le groupe «
pur laine » Simple Plan, parce qu’elle exerce son travail en français.
Seul un « Nous » basé sur la langue commune du Québec, le français, peut
être rassembleur. Ni le « Nous » civique ou le « Nous » dit
canadien-français ne réussissent à effectuer une telle tâche. L’un vide
les esprits de tout référent identitaire, alors que l’autre se base sur des
critères, tels que la langue maternelle, qui échappent à l’individu.
Conclusion
Bref, il faut avoir des réserves sur les idées de Jean-François Lisée.
Son livre en somme est contradictoire : d'une part il souhaite l'adoption
d'un controversé projet de citoyenneté pour intégrer les nouveaux arrivants
; d'autre part il souhaite le maintien des divers communautarismes au sein
de la Nation québécoise.
Sous prétexte de parler au nom de la majorité francophone, M. Lisée porte
un discours qui va pourtant à l’encontre des intérêts de cette dernière.
Jean-François Lisée est comme Nicolas Sarkozy lorsqu’il joue les cowboys :
il veut pouvoir dire qu’il aime sa nation, pour dans les faits copier le
modèle culturel qui lui est imposé.
Avec un réseau collégial bilingue
pour tous, Lord Durham pourra bien se retourner dans sa tombe : les
Français qui procèdent eux-mêmes à leur propre assimilation!
Maxime Schinck
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
1 Nous, 2 Nous, 3 Nous... Lorsque le «Nous» joue le jeu du multiculturalisme
Bref, il faut avoir des réserves sur les idées de Jean-François Lisée
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3 commentaires
Maxime Schinck Répondre
25 novembre 2007Réponse à David Litvak :
Jean-François Lisée souhaiterait que l'on donne le quart de l'enseignement au collégial en anglais.
David Poulin-Litvak Répondre
25 novembre 2007Salut Maxime,
"Toute personne serait donc forcée, même si cela va à l’encontre d’un droit linguistique fondamental, de suivre une partie de sa formation en anglais pour obtenir un diplôme d’études collégiales (DEC)."
Quelle part d'anglais, exactement, suggère-t-il? Combien de cours ou d'heures?
Archives de Vigile Répondre
24 novembre 2007De la diversion ! De la diversion !
Samedi, 24 novembre 2007 Bruno Deshaies
La voix de Jean-François Lisée, à titre personnel, me semble être l'expression même d'un discours qui circule très certainement au sein du « gros » organisme fédéralisant qui se nomme le CÉRIUM. Un organisme présidé par l'ex-ambassadeur du Canada à Washington et Paris, le neveu de Jean Chrétien, Raymond Chrétien. Or, le directeur exécutif de cette grosse « patente » fédéraliste est nul autre que M. Jean-François Lisée. Un autre péquiste s'y retrouve depuis le mois d'août dernier,une femme cette fois, il s'agit de Mme Louise Beaudouin. Après tout, il faut bien gagner sa vie...
Dans le Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vous pourrez trouver de nombreux cas comparables à ceux-ci dont l'évolution psychologique les a poussés dans la pensée magique du fédéralisme. D'ailleurs, une certaine madame Marie Bernier-Meunier, membre du conseil d'administration du CÉRIUM, s'évertue à tout instant à nous prouver TOUS les avantages du vivre ensemble dans la soumission et la subordination. Il paraîtrait que c'est cela la vraie vie. Nous avons déjà entendu des discours comparables dans le passé par d'autres porte-parole de la société québécoise.
L'union des indépendantistes serait certainement plus sérieuse que les coups de sonde bénis par Radio-Canada ou Télé-Québec au sujet du NOUS de Jean-Françis Lisée. Une perte de temps et surtout de beaucoup d'énergie. De la diversion !
À quand l'heure de vérité au PQ, parti politique qui se prétend souverainiste ? Peut-on demander humblement à Madame Pauline Marois de sortir elle-même de sa « diversion » et de chercher ailleurs ses conseillers politiques.