Le virage autonomiste qu’entreprennent des provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan va changer la nature des relations fédérales-provinciales en renversant la « tendance centralisatrice » qui s’est installée à Ottawa au cours des dernières années.
C’est du moins ce qu’avance le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui s’apprête à partir en tournée dans l’ouest du pays. Le bloquiste s’étonne de voir le gouvernement Trudeau s’entêter à nier encore dans son récent discours du trône la réalité de la fédération en évoquant des « régions canadiennes » alors que le pays est bel et bien formé de provinces et de territoires ayant leur propre Parlement.
Mieux encore, ce virage pourrait donner une nouvelle impulsion aux tenants de la souveraineté du Québec, qui pourraient bien tirer profit de la volonté du premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, de redéfinir les relations qu’entretient sa province avec le gouvernement fédéral.
« Je pense que cela peut être extrêmement utile à ce que nous défendons », a affirmé le chef bloquiste dans une entrevue accordée à La Presse au moment où députés et ministres terminaient les travaux à la Chambre des communes après une courte session parlementaire, à la mi-décembre.
La souveraineté du Québec n’a pas besoin de passer par une bataille rangée avec des cadavres sur le bord du chemin. […] Il y a d’autres endroits au Canada qui veulent redéfinir leurs relations avec le gouvernement central.
Yves-François Blanchet
« Ça va normaliser le fait que le Québec, lui, puisse éventuellement de nouveau aller plus loin là-dedans en disant au Canada : assoyez-vous d’un côté de la table et on va s’asseoir de l’autre côté de la table et on va redéfinir une nouvelle entente dont la première phrase sera qu’il s’agit de deux nations souveraines. Et une fois que cela est fait, tout est possible dans un sens comme dans l’autre », a ajouté M. Blanchet.
Selon lui, le gouvernement Trudeau doit « prendre acte » de la volonté des provinces de défendre bec et ongles leurs pouvoirs et leurs compétences « La tendance centralisatrice, à mon avis, ne sert pas les intérêts des provinces canadiennes qui vont commencer à revendiquer de plus en plus fort », a-t-il dit, soulignant leur demande unanime d’une hausse des transferts fédéraux en santé lors de la plus récente rencontre du Conseil de la fédération.
Mécontentement dans l’Ouest
Insatisfait de la façon dont le gouvernement Trudeau donne suite aux revendications de sa province, le premier ministre Jason Kenney a décidé de créer une sorte de commission itinérante qui doit prendre le pouls de la population.
Cette commission est dirigée par l’ancien chef du Parti réformiste Preston Manning et doit soumettre un rapport au début de 2020. Elle doit notamment examiner si l’Alberta devrait emprunter la même voie que le Québec en créant son propre régime de pension, par exemple, en mettant sur pied une force policière indépendante au lieu de recourir aux services de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), et en réclamant aussi davantage de pouvoirs en matière d’immigration, entre autres choses.
La grogne en Alberta a pris de l’ampleur au cours des dernières années en raison d’une grave crise économique qui frappe durement cette province et la Saskatchewan depuis cinq ans. La décision du gouvernement Trudeau de resserrer les critères en matière d’évaluation environnementale pour les grands projets énergétiques a été très mal reçue. l’insatisfaction est telle que des groupes préconisent ouvertement la séparation de l’Alberta du reste du pays, le Wexit, en référence à la sortie du Royaume-Uni de l’Europe, le Brexit.
« Je ne crois pas au Wexit », a tenu à souligner Yves-François Blanchet en entrevue. « Pour moi, c’est encore une fable ou c’est un outil politique que Jason Kenney a habilement utilisé, et je lui souhaite bien du bonheur avec cela. Mais je ne crois pas à une velléité sécessionniste de l’Alberta et encore moins en sa capacité de séduire la Colombie-Britannique. »
Blanchet part en tournée
Ce scepticisme ne l’empêchera pas de faire une tournée des provinces de l’Ouest au début de la nouvelle année. M. Blanchet a indiqué à La Presse vouloir s’inspirer en grande partie de l’ancien chef bloquiste Gilles Duceppe, qui avait pris l’habitude de faire des tournées dans certaines régions du Canada afin de mieux expliquer le projet souverainiste. Ces visites avaient généralement été couronnées de succès.
Le but n’est pas d’aller faire du brouhaha politique.
Yves-François Blanchet, au sujet de sa tournée qui est encore en préparation
« Je suis convaincu qu’à défaut d’être d’accord, nous pourrions au moins mieux nous comprendre, les gens de l’Ouest et nous. À la limite, que l’on se comprenne, qu’on se donne une raison d’ajuster le ton de nos échanges parce que des échanges de façon cordiale et respectueuse seront toujours plus fructueux que de s’aboyer les uns après les autres un peu bêtement », a-t-il dit.
M. Blanchet faisait ainsi allusion aux vifs propos de Jason Kenney par l’entremise des médias sociaux après que le chef bloquiste eut indiqué n’avoir aucun intérêt à donner des conseils à une province comme l’Alberta qui continue de miser sur l’exploitation du pétrole.
En campagne électorale et durant la courte session parlementaire, le chef bloquiste a réussi à impressionner plus d’un observateur en raison de sa prestance et de son éloquence. Aux Communes, son appel au respect des institutions comme le Parlement a été salué. Certains ont commencé à faire des comparaisons entre M. Blanchet et Lucien Bouchard, fondateur du Bloc québécois. Ce jeu des comparaisons fait sourire le principal intéressé.
« Je vais mettre cela dans une camionnette et je vais l’apporter à la maison pour nourrir mon ego ! », a-t-il lancé en s’esclaffant. Plus sérieux, il a ajouté : « C’est flatteur. J’ai eu l’occasion de passer plus de deux heures avec M. Bouchard, il y a quelques mois. Je l’ai écouté pendant tout ce temps. Sur le fond et sur la forme, c’est spectaculaire. Mais je n’ai pas la prétention d’être à la hauteur de M. Bouchard », a-t-il dit.