Hier matin, le directeur général Louis Roquet se tenait droit devant son lutrin. Face à lui, une horde de journalistes.
Juste avant, dans la même salle, le vérificateur Jacques Bergeron avait décortiqué son rapport. Au menu: plusieurs dossiers problématiques, dont «les graves indices d'irrégularités entourant» le contrat de TELUS.
Suffisamment graves pour que Jacques Bergeron décide de remettre le dossier à la police. C'est la troisième fois en un an qu'un vérificateur appelle la police. Il y a d'abord eu la SHDM en avril 2009, puis les compteurs d'eau quelques mois plus tard.
Et hier, c'était au tour de TELUS.
Le dossier est archi-compliqué. La Ville a décidé de changer son système téléphonique. En 2008, TELUS a décroché un contrat de 10 ans évalué à une centaine de millions de dollars.
Dans son rapport, le vérificateur énumère les nombreux cafouillages qui ont marqué le dossier: besoins mal définis par la Ville, absence de plan stratégique et de montage financier, retards considérables, etc.
Le vérificateur a envoyé une copie de la section de son rapport sur TELUS à Louis Roquet. Il avait pris soin d'inscrire: «Document confidentiel - Distribution interdite - Réservé à l'usage exclusif du destinataire.»
Louis Roquet en a envoyé un exemplaire à TELUS, même si le vérificateur avait insisté sur le caractère hautement confidentiel du document et précisé qu'il en avait transmis une copie à la police.
Jacques Bergeron était outré. Avec raison.
Hier, Louis Roquet s'est défendu. «C'était non seulement légal, a-t-il dit à la horde de journalistes, mais aussi éthique.»
Désolé, M. Roquet, mais vous avez tort.
Premièrement, le dossier a été transmis à la Sûreté du Québec. Hier, le président de TELUS, François Côté, a juré que son entreprise était blanche comme neige. Fort bien. Le vérificateur, lui, a jugé qu'il y avait suffisamment d'éléments troublants pour confier le dossier à la police.
Prenons un exemple théorique: une entreprise apprend, avant tout le monde, que la SQ s'intéresse à un dossier où elle est impliquée. Elle pourrait profiter de cette information privilégiée pour détruire des documents avant que la police mette son nez dans ses affaires.
En alertant TELUS, Louis Roquet a peut-être nui à une potentielle enquête policière. Son patron, c'est la Ville. Il doit d'abord et avant tout protéger les intérêts de son employeur. Pas se précipiter pour alerter TELUS.
M. Roquet affirme que le vérificateur aurait dû prendre contact avec TELUS.
Surtout pas! S'il l'avait fait, il aurait pu être congédié. M. Bergeron a un patron, un seul: le conseil municipal. Point final. C'est aux élus qu'il doit rendre des comptes. Tous les élus confondus, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition.
TELUS a reçu le rapport avant la chef de l'opposition, Louise Harel, avant les maires d'arrondissement, avant les membres de l'équipe Tremblay, bref, avant tout le conseil municipal au grand complet. Louis Roquet a commis une erreur grave. Il a bafoué le conseil municipal. Mais il le nie. Au contraire, il affirme qu'il a fait preuve d'éthique.
Le vérificateur n'a pas envoyé un exemplaire de son rapport à la firme Dessau dans l'histoire des compteurs d'eau, pourtant ses conclusions étaient dévastatrices. Même chose dans l'affaire de la SHDM: Catania n'a pas obtenu le rapport avant tout le monde. Là encore, le vérificateur a appelé la police.
Pourquoi TELUS a-t-elle eu droit à un traitement de faveur?
Le vérificateur a une juridiction: la Ville. Il scrute ses dépenses, vérifie si les procédés administratifs ont été respectés. Il n'a aucun pouvoir pour enquêter sur TELUS, Dessau ou Catania. Seuls les policiers, munis d'un mandat signé par un juge, peuvent débarquer dans les locaux de ces entreprises pour saisir des documents. Pas le vérificateur. Étonnant que M. Roquet, le plus haut fonctionnaire de la Ville, ne comprenne pas une chose aussi élémentaire.
Si M. Roquet était moins occupé à travailler à droite et à gauche, en plus de son travail de directeur général, il aurait peut-être le temps de lire la Loi sur les cités et villes qui définit clairement les droits et devoirs d'un vérificateur.
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