Sans surprise, le président de la Russie, Vladimir Poutine, a été reporté au pouvoir pour un quatrième mandat dimanche avec plus de 76 % des voix, selon les résultats partiels. Un scrutin qui a davantage pris les allures d’un vote de confiance envers l’homme, ses politiques et sa posture défiante face à l’Occident.
« À partir du moment où il n’y a pas d’alternative politique crédible qui s’offre à l’électorat, la légitimité du président passe par le taux de participation. […] La population valide par son vote le bon travail du président », explique Yann Breault, chargé de cours en Sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal.
Le taux de participation était estimé à 60 % à 15 h (heure de Montréal) par la Commission électorale, un chiffre décevant par rapport à 2012 (65 %) et aux efforts déployés par le Kremlin pour mobiliser les électeurs.
« Nous allons travailler tout aussi dur, d’une manière tout autant responsable et efficace », a déclaré le président devant des centaines de partisans, voyant dans sa victoire « la reconnaissance du fait que beaucoup de choses ont été faites dans des conditions très difficiles ».
Si sept autres candidats se sont présentés à la présidentielle, ils n’ont réussi à récolter que quelques miettes. Pavel Groudinine, du Parti communiste, est arrivé loin derrière en deuxième place avec un peu plus de 12 % des voix.
Il faut dire qu’après plus de 18 ans à la tête de la Russie — 14 comme président et quatre comme premier ministre —, Poutine a su consolider son pouvoir et le contrôle de la politique en n’hésitant pas à jeter en prison ses plus fervents opposants.
Le militant Alexeï Navalny, le seul qui aurait pu s’imposer comme véritable adversaire, en a fait les frais. Arrêté à plusieurs reprises pour avoir organisé des manifestations non autorisées, il a été déclaré inéligible.
Peu après le dévoilement des premiers résultats, il a accusé le Kremlin d’avoir fait gonfler la participation par de nombreuses fraudes, en bourrant les urnes, en organisant le transport massif d’électeurs vers les bureaux de vote et en les incitant à participer à coup de buffets gratuits et d’autres cadeaux. L’ONG Golos, spécialisée dans la surveillance des élections, a dressé sur son site Internet une carte des fraudes faisant état de plus de 2700 irrégularités.
Mais quand bien même Alexeï Navalny se serait présenté comme candidat, Vladimir Poutine aurait tout de même remporté l’élection haut la main, soutient Yann Breault. Si, pour la presse occidentale, le militant anticorruption représente un « héros défenseur de la démocratie », sa cote de popularité ne fait pas de vague en Russie. « C’est un communicateur très habile, présent sur les réseaux sociaux, capable d’alimenter le cynisme de la population face aux élites. Mais dans les faits, il rejoint peu de gens, il n’avait jamais plus de 7 ou 8 % en moyenne dans les sondages. »
Alexeï Navalny aurait sans aucun doute présenté Vladimir Poutine « sous un jour moins glorieux ». « L’empêcher de se présenter n’était qu’une façon pour Vladimir Poutine de contrôler son image auprès des Russes », souligne M. Breault.
Un président populaire
Bénéficiant du soutien des trois quarts des électeurs ayant fait valoir leur vote dimanche, Vladimir Poutine a prouvé que sa popularité ne faiblit pas. Au contraire, elle augmente, puisqu’il n’avait récolté que 63,6 % des voix en 2012.
« Sondage après sondage, il obtient un taux de satisfaction de près de 80 %. Il a un appui certain de la population ; ce n’est pas juste une fabrication des médias », fait remarquer Virginie Lasnier, chercheuse postdoctorante affiliée au Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM). « Mais est-ce un soutien enthousiaste comme dans ses premiers mandats ou plutôt un support par dépit car les gens ne voient aucune alternative crédible ? » se questionne-t-elle.
Au cours de son dernier mandat, les décisions du président russe ont pourtant maintes fois plongé le pays dans des crises diplomatiques. Les Russes ont envahi l’Ukraine, annexé la Crimée et bombardé la Syrie. On les a aussi accusés d’avoir interféré avec l’élection présidentielle américaine et ils se sont vantés, à leur tour, de posséder l’arsenal nucléaire le plus sophistiqué de la planète.
Début mars, Londres a mis en cause la Russie dans l’empoisonnement d’un ex-espion russe, Sergueï Skripal, et de sa fille sur le sol britannique. Des accusations qualifiées de « grand n’importe quoi » par le Kremlin.
Cette nouvelle crise diplomatique n’a fait que renforcer la mobilisation des électeurs, croit Virginie Lasnier. « Les Russes n’apprécient pas que leur pays soit accusé à tort. Ils aiment que Vladimir Poutine se tienne debout devant l’Occident, qui ne veut toujours pas reconnaître le pays comme une grande puissance mondiale. » La chercheuse croit d’ailleurs que, loin de s’améliorer, les relations avec les pays occidentaux vont encore plus se polariser.
Yann Breault partage son opinion, rappelant que la Russie a su retrouver une place importante sur la scène internationale, notamment depuis le début de son intervention militaire en Syrie en 2015 en soutien au régime de Damas. « Plus personne ne pense pouvoir résoudre le conflit syrien sans les Russes à la table des négociations, alors qu’il y a quelques années encore personne ne s’intéressait à leur opinion », explique le chercheur.
Dernier mandat ?
Un nouveau mandat en poche, Vladimir Poutine risque toutefois de passer les six prochaines années à se chercher un successeur plutôt qu’à améliorer la situation économique de son pays, estiment les experts.
« C’est sûr qu’il pourrait prendre le chemin de Xi Jinping, en Chine, et rouvrir la Constitution pour s’assurer de rester au pouvoir, reconnaît M. Breault. Mais il a tellement martelé en 2008 l’importance de ne pas la rouvrir pour ne pas déstabiliser le pays que je doute qu’il le fasse. »
D’autant plus qu’en 2012, Vladimir Poutine s’était attiré la foudre de la population, frustrée de le voir se représenter une nouvelle fois à la présidence après avoir échangé de place pour un mandat avec son premier ministre Dimitri Medvedev. « Les Russes ont vite compris que c’était entendu d’avance depuis 2008 et n’ont pas aimé ça », indique Mme Lasnier.
« En 2024, Vladimir Poutine aura 72 ans et, même s’il est en bonne santé physique et pourrait vouloir rester au pouvoir, je pense qu’il irait plutôt chercher un successeur loyal, ajoute-t-elle. Peut-être qu’il va se créer une fonction symbolique sans briser la Constitution pour garder une influence sur la politique russe et son successeur. Encore faut-il, toutefois, que son gouvernement résiste au départ de ce personnage emblématique. »
MONTRÉALAIS POLARISÉS
Une petite foule s’est massée dimanche devant le consulat général de la Fédération de Russie à Montréal pour prendre part à une élection dont le résultat ne devait pas surprendre.
Dans la file, Vladimir accepte de se confier aux médias, mais préfère ne pas donner son nom de famille. Le camionneur n’est pas seul à montrer une certaine réticence à commenter la situation dans son pays d’origine. Ekaterina Kondratyeva, âgée de 30 ans, estime que, face à l’histoire de leur pays, ses compatriotes ont raison d’être craintifs. « Chaque famille a perdu des personnes à cause de leurs opinions, explique-t-elle. Je pense que c’est dans notre sang d’avoir peur. » Ses grands-parents, qui demeurent toujours à Moscou, n’osent pas discuter de n’importe quel sujet au téléphone, illustre-t-elle. Mme Kondratyeva a tenu à participer au scrutin de dimanche, même si elle doute que celui-ci puisse changer les choses. Elle attribue la popularité du président sortant à une machine de propagande bien huilée.
Vladimir, lui, ne croit pas que ce long règne diffère de celui de la chancelière allemande, Angela Merkel, en selle depuis 2005. Il félicite l’ex-officier du KGB d’avoir redressé sa patrie, de laquelle il tire maintenant une fierté renouvelée. « Dans les années 1990, j’avais honte de dire que j’étais Russe, ici au Canada », se souvient-il.