Laval a un nouveau maire depuis vendredi dernier, Alexandre Duplessis, qui hérite d’une ville marquée depuis 31 ans par le PRO des Lavallois. Né dans des manoeuvres douteuses, selon un témoin de l’époque, ce parti politique s’est sabordé la semaine dernière en laissant derrière lui une traînée de suspicion accentuée par les perquisitions policières.
« Tout s’achète. Les avocats, les contrats, les ingénieurs, les élections. » C’est ainsi qu’un homme d’affaires de Laval, aujourd’hui à la retraite, décrit l’univers politique dans lequel il a baigné toute sa vie. Quand le Parti du ralliement officiel (PRO) des Lavallois se met en place officiellement le 26 septembre 1980, cet homme est l’un des principaux organisateurs qui mèneront au pouvoir l’avocat Claude Ulysse Lefebvre l’année suivante.
« L’establishment d’affaires était mécontent du régime de Lucien Paiement [maire de 1973 à 1981]. Il fallait le mettre dehors. Il y avait un organisateur officiel et, moi, j’étais le doer avec mon bras droit Claude Dumont [décédé]. C’était le début des élections clés en main, même si, nous autres, on n’appelait pas ça comme ça », explique cet homme que Le Devoir a longuement rencontré, d’abord en présence de son conseiller juridique. Il a demandé l’anonymat par crainte de représailles.
« Il y a pas eu grand-chose de “drette” dans ma vie. Maintenant, si je peux faire quelque chose et être utile pour la cause, en racontant ce que j’ai vu et ce que j’ai fait, tant mieux », dit cet homme qui est en contact avec la commission Charbonneau, l’escouade Marteau et le Directeur général des élections (DGE).
Lorsque Claude Lefebvre le contacte pour orchestrer sa campagne électorale, tout est à faire. Il faut louer des locaux, monter une équipe - des « bénévoles payés », y compris des « gars pour voler le vote si nécessaire » -, créer dans chaque district « un embryon d’organisation et de membership » et dénicher des candidats.
Deux conseillers municipaux de l’équipe Paiement, Ronald Bussey et Achille Corbo, occupent déjà l’avant-scène. Ce sont les fondateurs du parti. Dans l’équipe de candidats, on compte alors Guy Ricard, qui deviendra en 1984 député fédéral à la faveur de la vague conservatrice qui a élu Brian Mulroney. Il y a aussi Michelle Courchesne, qui sera surtout connue du grand public à compter de 2003, alors qu’elle se fait élire comme députée libérale aux côtés de Jean Charest, et sera ministre jusqu’en septembre dernier.
L’argent coule à flots
Pour mener la bataille électorale, il faut aussi de l’argent, beaucoup d’argent. « C’est pas vrai que les gens donnent 1000 $ pour les yeux d’un gars qu’on ne connaît même pas […] Mais le bagman de Lefebvre était très efficace », raconte cet ex-mercenaire d’élections qui ajoute en riant : « On manquait pas d’argent. »
« Il m’avait donné 40 000 $ pour démarrer l’organisation, 80 000 $ pour la publicité. […] De mémoire, j’ai dû dépenser 400 000 ou 500 000 $ cash pour payer mon monde. Peut-être plus », relate-t-il.
Puis, il précise que « la première chose qu’on a faite en campagne électorale, c’est de donner 10 000 $ à chaque candidat ». D’autres sommes d’argent auraient été distribuées au cours de la campagne, selon les besoins des candidats. Les organisateurs se sont partagé le travail ; aucun des candidats ou agents officiels n’aurait refusé l’argent comptant.
Le rapport détaillé des dépenses électorales telles qu’elles ont été déclarées auprès du DGE démontre autre chose. Par exemple, Guy Ricard a dépensé 2838,84 $, soit un peu moins de 400 $ de la limite permise. Il en va de même pour Michelle Courchesne, qui a inscrit des dépenses totales de 3096,90 $ alors que le plafond atteignait 3511,25 $ dans le district 12.
C’est le bagman qui donnait l’argent, qui provenait entre autres des firmes de génie, des cabinets d’avocats et des entrepreneurs qui espéraient ainsi voir leur investissement fructifier par la suite, explique l’homme d’affaires et ex-organisateur repenti.
Le Devoir a laissé plusieurs messages au bagman, c’est-à-dire au collecteur de fonds qui aurait été au carrefour du financement occulte de différents partis politiques dont le PRO des Lavallois.
En entretien téléphonique avec Le Devoir, il y a deux semaines, l’ex-maire Claude Lefebvre s’est défendu d’avoir eu un bagman. Selon M. Lefebvre, il s’agirait d’une « légende urbaine ». Mais il a confirmé que cet homme, un entrepreneur prospère, lui avait organisé une fête de départ de la politique en 1989, à Boca Raton, en Floride. L’ex-maire avait toutefois nié les révélations du Devoir, et ce, malgré les déclarations de deux invités à l’événement, selon lesquels les hommes d’affaires présents à ce party lui avaient remis une bourse de quelque 800 000 $. Ce cadeau aurait servi à précipiter son départ et à préparer le terrain pour l’arrivée de Gilles Vaillancourt, la nouvelle coqueluche de l’establishment d’affaires.
La transition n’aurait pas modifié les façons de faire. Le bagman du maire Lefebvre a toutefois été mis de côté, et un nouveau bras droit a assisté le maire Gilles Vaillancourt au fil des ans. Le Devoir a communiqué avec cet avocat qui a toutefois refusé de parler de son étroite collaboration avec M. Vaillancourt.
Le mois dernier, Le Devoir a recueilli les déclarations d’un homme d’affaires qui soutient avoir versé à deux reprises 15 000 $ comptant directement à Gilles Vaillancourt. Cette contribution annuelle lui assurait un accès privilégié aux contrats professionnels de la Ville de Laval. Un témoin des deux rencontres corrobore les affirmations de l’homme d’affaires que le cabinet du maire Vaillancourt a niées formellement.
Selon l’ex-organisateur politique, le PRO aurait évolué sous le règne de M. Vaillancourt. Ainsi, comme le révélait l’année dernière Le Devoir, à partir de 1984, le parti a puisé directement dans les coffres de la Ville pour financer ses activités partisanes, comme les sorties à la cabane à sucre, la distribution de dépliants promotionnels ou la tenue des assemblées d’investiture et la diffusion de publicités dans les journaux. Le ministère des Affaires municipales a effectué une vérification qui établit à 3,6 millions de dollars les fonds publics utilisés par le PRO, entre 2004 et 2010, qui ne correspondent pas à la définition légale du budget destiné à la recherche et au secrétariat.
La fin tourmentée du PRO
Le 9 novembre dernier, Gilles Vaillancourt remettait sa démission après avoir dirigé Laval pendant 23 ans. Son départ est survenu au terme d’une série de perquisitions de l’escouade Marteau qui l’avait mis sous pression : à l’hôtel de ville, dans ses résidences personnelles, dans les institutions financières où se trouvaient ses coffrets de sûreté et dans les entreprises soupçonnées d’avoir été favorisées dans l’attribution des contrats municipaux.
Dix jours plus tard, M. Vaillancourt qui était aussi le chef du PRO des Lavallois avait demandé officiellement la dissolution de son parti. « Le conseil général a pris acte de la décision de M. Vaillancourt », a précisé le porte-parole du PRO, le relationniste Jean Lapierre. Les fonds détenus par le PRO (environ 1 million) seront versés au DGE qui doit les retourner à la municipalité.
Dès le lendemain, alors que les boîtes s’accumulaient déjà dans les bureaux du PRO, la police y effectuait une perquisition. La résidence personnelle de l’avocat Jean Bertrand, agent officiel depuis toujours du PRO, a également fait l’objet d’une perquisition.
C’est dans ce paysage tourmenté que le nouveau maire, Alexandre Duplessis, prend le relais jusqu’aux élections de novembre 2013. Issu du parti de Gilles Vaillancourt qu’il admirait tant, M. Duplessis devra maintenant rebâtir un parti avec un financement au-dessus de tout soupçon et relever le défi de la mobilisation, une tâche de pro.
Témoignage
Vie et mort d’un parti de tricheurs
De Lefebvre à Vaillancourt, l’argent a toujours été une ressource abondante au PRO
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