À l'hôtel de ville de Laval, tout le monde doit quelque chose à quelqu'un. Obtenir un privilège, c'est d'ailleurs mettre le doigt dans « un piège à dette ». Quant à la loyauté, elle est érigée en dogme. C'est ce qui permet de tout accepter sans se questionner. Et les conditions de travail très avantageuses obtenues par les syndicats placent « les employés dans une posture de confort dans l'indifférence face à la transgression ».
Voilà quelques éléments tirés des témoignages de fonctionnaires de la Ville de Laval qui ont fait état de la situation éthique sous le règne de l'ancien maire Gilles Vaillancourt et de sa garde rapprochée, dans le cadre d'une recherche menée par le professeur Yves Boisvert de l'École nationale d'administration publique (ENAP). La Ville de Laval et ses années Vaillancourt ont constitué un laboratoire de recherche pour l'ENAP qui a accompagné, en contrepartie, la nouvelle administration municipale dans sa volonté de faire un grand ménage (voir texte de l'onglet suivant).
Le rapport du professeur Boisvert, intitulé Analyse thématique du diagnostic des risques éthiques dans le milieu municipal : Étude exploratoire, n'est donc pas « une chasse aux sorcières », mais plutôt une occasion pour Laval de « faire face à son histoire » et ainsi éviter de revivre une nouvelle crise. Les employés rencontrés (membres de la haute direction, des directions de services, des cols blancs, des professionnels, des cadres et des cols bleus) ont partagé leur expérience dans la confidentialité complète.
« Dans les gros scandales, on ne retrouve jamais un seul individu déviant. [..] Pour qu'un véritable système fonctionne, il y a au moins une dizaine ou même une quinzaine d'inconduites qui se complémentent. La collusion, ça va mieux quand tu as des corrompus qui t'aident. Et si en plus, il y a du népotisme, c'est-à-dire qu'on engage des gens qui vont être redevables au système, c'est encore plus facile », explique Yves Bosivert.
Selon lui, le système en place à Laval a eu besoin de la complicité passive de nombreux fonctionnaires, des gens qui n'étaient pas nécessairement malveillants ou qui empochaient des enveloppes brunes, mais « des gens qui ne veulent pas de trouble donc qui n'en créent pas ». « Dans tous les grands scandales, la loi du silence et de la complicité passive ont toujours été là », soutient M. Boisvert avant de souligner que dans une « organisation vraiment corrompue, les gens intègres vont quitter ou se plier aux us et coutumes de l'environnement ».
Ainsi, pour protéger certains développeurs, des éléments ont disparu de certains dossiers d'enquête, le service du greffe a finalisé la vente de terrains municipaux sans en avoir actualisé l'évaluation ou des juristes ont rédigé des règles de surveillance et de contrôle qui ne s'appliquaient pas aux membres du contentieux de la Ville. Les exemples de complaisance, de connivence, de négligence ou de manipulation sont nombreux dans le rapport de M. Boisvert.
Il est également question de pression, de harcèlement et d'intimidation. Et des facteurs de risque qui ont contribué au maintien du système. « Une des stratégies de gestion sous Vaillancourt était l'absence de toute planification. Quand il n'y a pas de plan, tout se négocie à la pièce. Et tout a un prix à la pièce », insiste M. Boisvert.
ABSENCE DE RÈGLES
De la même façon, il fait valoir qu'il ne peut y avoir de transgression des règles ou des normes quand ces règles ou ces normes n'existent pas. De plus, la culture de la gestion d'urgence était très présente. C'est ce qui a permis d'avoir un personnel efficace pour réagir - « on ne leur demandait pas de réfléchir, mais d'agir ». La situation a aussi entraîné des coûts importants dans l'attribution de contrats de dernière minute ; les règles d'appels d'offres ne s'appliquent pas en situation d'urgence.
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