Les dirigeants de l’UE ont cru qu’il fallait manipuler les régions pour affaiblir les États ; ils ont fini par comprendre que cette politique menait au chaos.
Au moment où paraissait mon précédent article, dans lequel je me demandais ce qui avait amené les dirigeants de l’Union européenne à changer totalement d’attitude à l’égard des régions séparatistes, Jean-Claude Juncker faisait une déclaration qui confirmait l’hypothèse que j’avais avancée : « Je ne veux pas d’une Union européenne qui comprendrait 98 États dans quinze ans. C’est déjà relativement difficile à 28, pas plus facile à 27, mais à 98, ça me semble impossible. »
En disant cela, après avoir confirmé qu’il fallait empêcher les velléités sécessionnistes en Catalogne et ailleurs, Juncker avoue que faire cohabiter 28 peuples dans une même structure politique est très difficile. Les fédéralistes européens ont toujours eu pour modèles les États fédéraux états-uniens et allemand et ils n’ont pas pris en compte le fait que les États-Unis, tout comme l’Allemagne fédérale, ont été bâtis par des peuples culturellement homogènes ; ce qui n’est évidemment pas le cas en Europe, où les différences culturelles sont très grandes, les histoires et les intérêts des peuples très divers, malgré les lointaines origines communes de ces peuples et les nombreuses influences croisées qu’ils eurent les uns sur les autres.
Les théoriciens du fédéralisme, comme Alexandre Marc, qui imagina un fédéralisme intégral qui serait étendu à l’ensemble de l’humanité, ont cru que le système fédéral permettrait la cohabitation de peuples d’origines diverses dans une même organisation démocratique et pacifiée. Le cas de l’Inde est instructif à ce sujet. Cet État fédéral, qui fut fondé en 1947 sur les ruines de l’Inde coloniale britannique, laquelle avait rassemblé, de force, des États princiers ayant des cultures et des traditions très diverses, est secoué, depuis sa création, par des convulsions ethnoculturelles et religieuses dont certains pensent qu’elles finiront par emporter cette construction baroque. L’État fédéral n’a, du reste, jamais réussi à mettre un terme aux conflits qui opposent les hindouistes aux musulmans, aux sikhs et aux chrétiens.
Les dirigeants de l’Union européenne ont cru, pendant des décennies, qu’il fallait manipuler les régions pour affaiblir les États historiques ; ils ont fini par comprendre que cette politique menait au chaos et que « l’Europe aux cent drapeaux » imaginée par le Breton Yann Fouéré, est tout simplement irréalisable. Ayant fait le constat des difficultés générées par la multiplication des membres de l’Union européenne, les dirigeants de cette dernière et leurs alliés, qui gouvernent la plupart des États membres, sont fort gênés par la crise catalane. Ainsi, Emmanuel Macron a insisté ces derniers jours sur la souveraineté de l’Espagne et des autres États, ce qui est assez surprenant parce que le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’attache que peu d’importance à leur indépendance. Presque simultanément, il a annoncé, en réponse à Mélenchon, qu’il allait reconnaître le statut officiel du drapeau et de l’hymne européens.
Les fédéralistes masqués qui nous gouvernent (voir, à ce sujet, l’ouvrage de Christopher Booker et Richard North intitulé La Grande Dissimulation) ne craignent pas de faire le grand écart quand il s’agit de faire avancer leur projet fédéral.