La chose a beau sembler plus simple et plus logique en cette ère de mondialisation, la disparition des devises nationales au profit d'une monnaie unique, ou d'un petit nombre de monnaies communes, n'est pas pour demain. Il y a de bonnes raisons à cela, y compris en Amérique du Nord.
Quoi de plus normal que de s'interroger sur l'intérêt pour les pays de conserver des monnaies distinctes en cette ère de mondialisation? Après tout, l'argent n'est-il pas qu'une simple convention visant à se donner un moyen commode d'indiquer la valeur des biens et des services afin d'en faciliter l'échange? À partir du moment où ces échanges respectent de moins en moins les frontières, et que le designer italien vend son concept au fabricant chinois qui fera affaire avec des sous-traitants vietnamiens et dont le produit se retrouvera sur les tablettes d'un magasin québécois, à quoi sert de changer quatre fois de devise? La question se pose avec d'autant plus d'acuité lorsque l'on voit les ravages causés ces dernières années dans le secteur des exportations au Canada par la foudroyante appréciation du dollar canadien et la chute non moins brutale du billet vert américain.
Une monnaie commune, par exemple aux pays de l'ALENA, aurait le grand avantage d'éliminer cette volatilité, d'attirer les investisseurs étrangers et de réduire les coûts d'emprunt des entreprises comme des gouvernements. Cela éviterait également que des entreprises se fient seulement à la faiblesse de leur devise pour assurer leur compétitivité ou, au contraire, qu'une simple fluctuation des taux de change réduise à néant les meilleures stratégies d'affaires qui soient.
Il n'est pas étonnant que des voix, parmi les plus respectées, se soient fait entendre, ces derniers temps, pour réclamer que le Canada s'engage sur ce chemin. On les avait aussi entendues faire la même demande, il y a cinq ans, lorsque le huard était au quatrième dessous, et que l'on craignait qu'il tombe encore plus bas. Le timing, de ce point de vue, serait meilleur aujourd'hui alors que la devise canadienne a le vent dans les voiles et que le pouvoir d'achat des Canadiens n'a jamais été aussi grand. Si 13 pays européens sont arrivés à se donner une monnaie commune appelée l'euro, dit-on, il n'y a pas de raison que les trois pays de l'ALENA ne soient pas capables de faire de même.
Le problème est que la comparaison ne tient pas. L'Europe est beaucoup plus avancée sur le chemin de l'intégration économique que ne l'est l'ALENA. En ce qui a trait strictement à la question de la monnaie commune, les pays de la zone euro ont accepté de se soumettre à une seule banque centrale qui impose les mêmes taux d'intérêt à tous. Ils se sont aussi engagés à respecter un Pacte de stabilité et de croissance qui fixe une discipline fiscale et financière stricte afin d'éviter qu'un pays ne fasse porter par les autres sa mauvaise gestion des finances publiques. Ils se sont également donné des mécanismes de répartition de la richesse et une mobilité transfrontalière de la main-d'oeuvre aidant l'absorption des chocs économiques.
Malgré cela, tout est loin de fonctionner parfaitement, notamment lorsque l'on refuse à l'Allemagne les baisses de taux d'intérêt qui l'aideraient à faire face au défi financier de l'intégration de l'ancienne Allemagne de l'Est, ou encore que les gouvernements français et italien s'arrogent le droit de faire des déficits plus importants que ce qui a été permis aux autres. C'est pourtant beaucoup plus loin que ne pourront probablement jamais accepter d'aller les pays de l'ALENA.
Peu importe, répondent les défenseurs de la monnaie unique. Rien n'empêcherait le Canada de mettre un terme aux vols erratiques du huard en l'arrimant au dollar américain par un taux de change fixe. Il pourrait même carrément renvoyer aux oubliettes le pauvre volatile et faire du billet vert sa propre devise sans même avoir à demander l'avis de l'Oncle Sam.
Qui est à la barre?
C'est vrai. Cela c'est déjà vu. Ce genre de politique monétaire a même été très à la mode, il n'y a pas si longtemps, dans de nombreux pays asiatiques et d'Amérique latine. On y voyait une bonne façon de redonner un peu de stabilité à l'économie et de rassurer les investisseurs étrangers.
Un tel choix impliquait, cependant, que les pays renoncent au pouvoir de moduler les taux d'intérêt en fonction de leur réalité économique nationale. Cela signifiait, aussi, qu'ils se privaient de l'aide que peut apporter à un pays un taux de change flottant pour s'adapter avec un peu plus de douceur aux hauts et aux bas de son économie. La baisse d'une devise en période de récession tend, par exemple, à jouer en faveur des exportations et en défaveur des importations au plus grand bonheur des entreprises locales.
«Sans ce tampon, sans cette soupape, rappelait la semaine dernière mon collègue Gérard Bérubé, c'est l'économie réelle qui doit absorber les ajustements nécessaires, au prix de fermetures d'usines et de flambées du chômage.» Nos pays asiatiques et d'Amérique latine dont on parlait tout à l'heure en ont fait la cruelle expérience lorsque a éclaté en Asie la terrible crise financière de 1997-1998.
Seul maître à bord en ce qui concerne le dollar, la Réserve fédérale américaine n'avait pas fait un geste pour soulager leur peine, du moins tant et aussi longtemps que l'économie américaine n'a pas été menacée à son tour. On peut parier que le Fed n'agirait pas autrement si le sort du Canada en dépendait, à plus forte raison si c'était celui du Québec.
On comprendra pourquoi cela risque d'être encore long avant que ne disparaissent les différentes monnaies nationales, y compris en Amérique du Nord. Restent alors, pour compenser leurs appréciations ou leurs chutes trop brutales, les moyens d'intervention économique classiques, comme la politique monétaire des banques centrales et les politiques économiques des gouvernements. C'est précisément à ces moyens d'intervention que le Québec faisait encore désespérément appel, la semaine dernière, en réclamant que la Banque du Canada baisse un peu les taux d'intérêt, mais surtout que le gouvernement fédéral fasse son travail de répartition de la richesse nationale et vienne en aide aux secteurs les plus affectés, comme les industries manufacturière et forestière.
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