L'ensemble des médias francophones belges, depuis l'annonce de l'abdication d'Albert II le 4 juillet dernier fabriquent littéralement de l' «actualité», qui n'en est pas vraiment. Après les rencontres avec les gouvernements, les anciens premiers ministres, les Etats fédérés, le futur ancien roi Albert II a visité Gand où il a été accueilli par une centaine de personnes selon le quotidien wallon L'Avenir. A Liège, en Wallonie,le 19 juillet, la RTBF-télé parlait de 8000 personnes (chiffres de la police qui gonfle souvent les foules quand elles sont partisanes de l'ordre établi), et la RTBF-radio ne concédait que 5.000 quelques minutes plus tard en mettant en cause le chiffre de la police. Il y avait encore sans doute moins de monde.
La manipulation du symbole royal
L'Oligarchie politique francophone et une grande partie de l'Oligarchie flamande utilisent le symbole royal contre les exclus du gouvernement actuel qui, avec six partis coalisés, détient la rare majorité des deux tiers au Parlement fédéral, au moins pour voter la 6e réforme de l'Etat (qui va réduire le budget fédéral devenu moins important que celui des entités fédérées, en chiffres absolus pour la Flandre - en proportion pour Bruxelles et la la Wallonie [[Quand on fait la somme des budgets du fédéral et des entités fédérées, on obtient (hors le service de la dette) la somme 100, dans laquelle le fédéral ne représente plus que 30 contre 70 pour les Etats fédérés et l'hémorragie du fédéral a des chances de se poursuivre. D'autant qu'en 1980, la proportion était de 100 pour le fédéral et d'à peu près 0 pour les Etats fédérés.]]).
Avec en sus les Verts de Flandre et Wallonie (qui soutiennent la réforme de l'Etat), l'ensemble de ces partis forment une coalitions contre le principal parti flamand, la nationaliste NVA.
Les partis manipulent la monarchie, symbole actif engageant à une soumission dont ils profitent, leur installation aux différents échelons de pouvoirs (tous ou l'un d'entre eux), est assurée dans le complexe système belge. Le monde politique belge s'incline devant la monarchie, imitant les citoyens les moins critiques mais avec la pensée de derrière dont parle Pascal, c'est-à-dire au fond sans croire ce qu'ils disent de la monarchie (le roi est la pièce centrale du système politique, sans lui nous ne pourrions rien faite etc.).
Il n'en irait plus de même si le fédéral se vidait de sa substance. Ce qu'une prochaine réforme de l'Etat (il y en a eu 5 depuis 1980, soit une à peu près tous les 5 ans), risquerait de consacrer en admettant que la part du fédéral se réduise encore et passe à 20 % des moyens publics voire moins. Au fond, la suppression de la monarchie, l'indépendance des Etats fédérés sont les deux conditions sine qua non du rétablissement de la démocratie. Encore qu'il y a aussi l'Europe.
Les rois écrasent et devant eux on s'écrase
Le discours plein de guimauve du bourgmestre de Liège était d'autant plus pénible à entendre hier qu'Albert II est le fils de Léopold III dont on peut dire que c'est Liège qui le contraint à l'abdication en juillet 1950, dans la mesure où la ville est un des moteurs de la révolte wallonne de juillet 1950.
Elle a comme lointaine origine la dissension entre le gouvernement Pierlot et Léopold III en mai 1940 : le gouvernement est déterminé à poursuivre la lutte en engageant le roi à quitter le pays devant la victoire militaire allemande qui se dessine. Après des hésitations suite à l'armistice demandé par la France en juin 1940, le gouvernement rallie Londres, garde son autorité sur le Congo, maintient des troupes, un engagement politique aux côtés des Alliés contre le nazisme. La Résistance en Wallonie est d'une très grande force. Par contre, Léopold III s'accommode de la présence allemande. Les Allemands l'emmènent avec eux dans leur déroute après le débarquement du 6 juin 1944. Les Américains libèrent le roi maintenu prisonnier en Allemagne le 9 mai 1945. La probabilité d'une insurrection dans le pays s'il y rentre le maintient éloigné du trône pendant 5 ans. On organise un référendum sur son retour sur le trône. La Flandre dit OUI à plus de 70%, la Wallonie dit NON à près de 60 (comme Bruxelles avec 51% de NON).
Il revient et c'est le choc frontal, violent. Si violent que le 30 juillet quatre ouvriers sont tués par des gendarmes sur les hauteurs de Liège. Une autre version des faits existe, mais elle doit être comparée avec la précédente.
Quatre ans plus tard, son fils devenu Baudouin I impose le 23 mai 1954 au gouvernement composé des forces politiques qui s'étaient opposées à son retour un discours devant le monument élevé sur les lieux de la bataille de la Lys, discours où il fait l'apologie de son père, aussi mensonger que le monument qui présente Léopold III comme un combattant et un patriote, ce qui est absurde (après 15 jours de combat, il décide de tout lâcher). Ainsi les rois peuvent tout imposer, même de modifier la réalité historique quand elle les gêne. Mais pourquoi se gêneraient-ils dans la mesure où l'on s'écrase devant eux.
Un détournement de la citoyenneté
Ce détournement de l'histoire au bénéfice de la gloire du roi continue à sévir dans la mémoire du pays, en tout cas (si pas dans les cerveaux politiques). Le cas de Léopold II et du régime d'horreur qu'il impose aux indigènes du Congo lorsqu'il en est le roi absolu (chef de cet Etat distinct de la Belgique jusqu'en 1908 puis obligé de le remettre à la Belgique suite à la pression internationale mais qu'il lui fait payer). Ce royaume d'horreurs est bien connu. Malgré les démentis qui arrivent encore à pourrir la page sur Léopold II sur Wikipédia, des observations bien ultérieures à son règne permettent de voir que l'Etat belge prolonge en partie le système qu'il avait installé, jusqu'à la fin de la Deuxième guerre mondiale au moins.
Comme le montre l'historien et sociologue Ludo de Witte, tout prouve que sur ces questions une grande partie des élites intellectuelles belgicaines demeurent incapables de vérité. Cela ne concerne pas seulement la prise de possession des colonies en Afrique mais aussi leur décolonisation où les responsables belges, roi Baudouin I compris (dont on voulait faire un saint), font preuve, de brutalité, de cynisme sans hésiter à recourir au chantage et à l'assassinat, politique qui a sa part de responsabilité dans les événements sanglants qui vont survenir au Congo mais aussi au Rwanda (le génocide) et au Burundi, pour les massacres de masse.
La destruction de la mémoire et même d'un présent qui gêne
Aucune des vérités historiques du type que l'on vient d'indiquer n'est évidemment rappelée par les médias qui sont contraints de faire la propagande de la totalité des partis représentés au Parlement côté wallon et bruxellois, une propagande démocratique si l'on veut, vu son origine, mais mensongère comme toute propagande. Aucune autre réalité humaine, aucune autre institution, aucun autre mouvement ne suscite de la part des médias un tel engagement dans quelque chose qui ressemble vraiment à un ministère de la vérité, certes avec l'accord des autres institutions démocratiques. Mais quel intérêt y trouvent-elles? C'est certain pour les institutions fédérales (la thèse de Bart Sturtewagen, voir plus bas), ce l'est moins des Etats fédérés, Flandre, Wallonie et Bruxelles. Mais ceux-ci surtout en Wallonie et à Bruxelles sont sous la coupe de partis francophones qui jouent un jeu d'abord fédéral, malgré le fait que le fédéral s'effiloche.
Un ministre comme Jean-Claude Marcourt, considéré comme un régionaliste wallon croit devoir se mêler aux thuriféraires de la monarchie. La Présidence wallonne croit devoir ne rien dire - vraiment rien - de l'augmentation de 40% de son budget suite à l'accord conclu sur la 6e réforme de l'Etat il y a quelques jours.
Cette semaine le roi a soi-disant rendu visite aux entités fédérées, à Gand (Flandre), à Liège (Wallonie) et à Eupen (Communauté germanophone, entité plus petite). Mais à Gand, il n'y avait personne de toute façon et, à Liège, le bourgmestre a surtout parlé de Liège. Il n'y a qu'à Eupen (communauté germanophone), que des autorités distinctes de l'Etat fédéral ont reçu le roi dans cette entité qui a repris les armoiries royales et qui, elle aussi, semble n'exister que par le roi.
Du côté francophone on en remet sans cesse dans la flatterie, l'obséquiosité, la servilité. On y dit notamment que la Belgique (et la Wallonie aussi?) ne peut pas se passer d'un roi. L'éditorialiste du plus important journal flamand De Standaard réagit tout autrement. Il pense que considérer que le rôle tenu actuellement par le roi ne pourrait pas l'être par une institution conçue et désignée autrement qu'au Moyen Âge est «grotesque».
C'est bien ce que nous pensons aussi.
Tout cela est d'autant plus grotesque que l'Union européenne impose pendant le même temps l'abdication non des rois mais des Parlements en vue de poursuivre dans la voie suicidaire choisie depuis le traité de Maastricht en 1992, qui conduit à la tiers-mondisation de l'Espagne, de la Grèce et du Portugal en en attendant d'autres. Et qui va aller jusqu'à l'immolation de la Démocratie, de la Liberté, de la République si cela continue.
Je voudrais au moins que mes lecteurs puissent réécouter le valeureux cri lancé par un député communiste le 11 août 1950, d'une voix rapide et formidable. C'est ce cri pour la République, en pleine prestation royale qui, alors que toutes les simagrées dont j'ai parlé sont déjà vieilles, reste la seule chose jeune et nouvelle.
Oui, Vive la République!
Ecoutez-le ce cri magnifique! Ecoutez-le!
Une monarchie creuse et écrasante
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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