Près de cinq ans après l'ouverture de l'usine d'eau potable de Saint-Irénée, dans Charlevoix, des citoyens estiment avoir été floués et espèrent obtenir l'heure juste avec la comparution de l'ex-ministre Nathalie Normandeau devant la commission Charbonneau.
«[L'ex]-ministre ne peut pas dire qu'elle ne savait pas que l'usine n'était pas nécessaire. Il y avait une autre solution, et tout le monde le savait, y compris Mme Normandeau», affirme Manuel Tremblay, contremaître de la municipalité de Saint-Irénée jusqu'en 2007. L'usine est entrée en fonction en novembre 2009 et a coûté 3,6 millions.
En 2008, M. Tremblay n'est plus fonctionnaire, mais il alerte la ministre Normandeau. Les 48 signataires de la plainte, dont M. Tremblay, disent être «loin d'être convaincus» que l'usine est «la meilleure [solution] et la plus économique pour les citoyens». Ils s'appuient alors sur un rapport de la firme LNA Laforest Nova Aqua commandé par la municipalité de Saint-Irénée, qui proposait une autre avenue: des sources d'eau.
Besoins gonflés
La Presse a joint l'hydrogéologue Jules Denis, qui signe le rapport. «On a trouvé de l'eau, mais ça ne répondait pas aux besoins estimés par BPR [la firme qui conseillait la municipalité]», explique-t-il. Le rapport mentionne: «les besoins en eau potable de la municipalité de St-Irénée ont été évalués en mai 2005, par la firme BPR, à 900 L/min (238 GUSPM) pour un horizon de 30 ans».
«Ça semblait surévalué, mais il y avait des fuites dans le réseau et BPR en tenait compte», indique M. Denis. Manuel Tremblay corrige: «Le débit de conception était trop grand. Les besoins en eau potable avaient été gonflés.»
Selon le rapport 2011 sur l'utilisation de l'eau par les municipalités dont fait état Environnement Canada, la consommation totale d'eau par habitant s'établissait, en 2009, à 706 litres par habitant par jour. Ce chiffre présente donc un écart important avec l'évaluation de BPR.
La firme a refusé de formuler des commentaires et a renvoyé La Presse aux explications données lors de l'ouverture de l'usine. «Des recherches en eau souterraine réalisées sur plusieurs années se sont avérées vaines et ont obligé la municipalité à se tourner vers la construction d'une usine de traitement», écrivait alors Yvon Tourigny, PDG de BPR-Infrastructures, dans Le Devoir.
Il a été démontré à la commission Charbonneau que Nathalie Normandeau avait exercé à 32 reprises son pouvoir discrétionnaire de subventionner jusqu'à 95% les municipalités ayant des capacités limitées de financement des infrastructures. L'usine d'eau de Saint-Irénée fait l'objet de l'une des décisions hors normes de Mme Normandeau.
«La machine n'était plus "arrêtable"»
«À Saint-Irénée, la machine n'était plus "arrêtable". C'est pour donner un contrat à BPR sans appel d'offres public, plutôt que pour donner à la population de l'eau de qualité, que l'usine a été construite», lance, sous le couvert de l'anonymat, une des personnes qui a mené la bataille contre le projet.
Agathe Lavoie, qui s'est elle aussi opposée au projet, n'en démord pas: le dossier est marqué par des jeux de coulisse. «Pour obtenir une subvention de 95%, il a bien fallu qu'il y ait des manoeuvres pour convaincre [Nathalie Normandeau] de construire une usine trop grosse pour nos besoins», affirme Mme Lavoie.
En 2004, Saint-Irénée avait fait une demande d'aide financière au gouvernement, qui l'obligeait à mettre aux normes ses installations d'eau potable. On souhaitait obtenir une subvention équivalant à 95% des coûts du projet. Parmi les arguments avancés, la municipalité invoquait la présence du Domaine Forget qui «aurait à payer une taxe d'aqueduc de l'ordre de 80 000$/année». Le ministre des Affaires municipales, Jean-Marc Fournier, avait rejeté la requête.
Mais ce n'était pas faute d'avoir essayé. C'est le «témoin A», entendu à la commission Charbonneau au cours des derniers jours, qui menait le dossier pour Saint-Irénée auprès du gouvernement. Il était alors ingénieur auprès de BPR. Il a affirmé sous serment à la Commission qu'il avait amené des maires, toutes dépenses payées, dans des voyages de pêche. Le maire de Saint-Irénée, Pierre Boudreault, était du nombre.
Le PDG de la firme BPR était alors Paul Lafleur (1991 à 2008). Il présidait également le conseil d'administration du Domaine Forget. Cet organisme culturel était le «principal usager majeur» de la future usine d'eau, indique la résolution du conseil municipal du 2 février 2004 réclamant un financement à 95% par l'État. M. Lafleur a été décrit à la commission Charbonneau, par son successeur à la tête de BPR, Pierre Lavallée, comme celui qui était responsable des contributions politiques au sein de BPR. Joint lundi sur cellulaire, M. Lafleur a refusé de commenter le dossier.
En 2008, Saint-Irénée a autorisé son consultant BPR à déposer une nouvelle demande d'aide financière. Le Domaine Forget ne faisait plus partie des arguments à l'appui de la demande. La ministre Normandeau accordera une subvention de 95%.
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