Une clôture en «or massif»

(...) près de quatre fois sa valeur marchande

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Sommet de Montebello - 20 et 21 août 2007

Gilles Toupin - La clôture de sécurité érigée à la demande de la GRC autour du complexe hôtelier de Montebello l’été dernier, lors du sommet Harper-Bush-Calderon, a coûté aux contribuables canadiens près de quatre fois sa valeur marchande.

La facture de cette clôture temporaire, destinée à tenir à l’écart les opposants au sommet, s’est en effet élevée à 874,762,14 $, incluant la TPS. Ce montant a été confirmé par la GRC, Travaux publics Canada et l’entrepreneur qui a érigé la clôture, Matériaux Bonhomme de Gatineau.
Or, selon plusieurs grands fabricants québécois de clôtures industrielles consultés par La Presse, un tel projet ne peut en aucun cas coûter plus de 200 000 $ – dans le pire des cas 250 000 $. De plus, les concurrents de Matériaux Bonhomme à qui nous avons parlé se sont dits outrés par le fait que la GRC et le ministère des Travaux publics n’aient pas lancé d’appel d’offres pour ce projet.
Selon au moins cinq grandes entreprises, la GRC n’a fait aucune vérification auprès d’elles afin de savoir si elles avaient les capacités techniques de construire un tel ouvrage.
« C’est du vol ! » a lancé à La Presse le propriétaire de l’une des plus importantes et des plus anciennes entreprises de fabrication et d’installation de clôtures industrielles au Québec, M. Pierre Daviault, de Clôture Daviault à Saint-Lambert, lorsqu’on lui a révélé le prix payé à Matériaux Bonhomme.
« Le devis pour une clôture normale de ce genre, de 7000 pieds linéaires, je n’ai aucun problème à l’exécuter pour 150 000 $, a ajouté M. Daviault. Mais s’il y a des demandes spéciales pour le grillage, les espacements de poteaux et le barbelé, comme ce fut le cas à Montebello, ça peut coûter un peu plus cher. Mais au-delà de 200 000 $, ça commence à être beaucoup, beaucoup d’argent. »
Selon les informations recueillies par La Presse, c’est un responsable de la GRC, M. Tim McQuinn, qui s’est adressé directement à Matériaux Bonhomme afin de commander la clôture de sécurité. Selon une source qui a requis l’anonymat, M. McQuinn aurait précisé au gérant du département des clôtures chez Matériaux Bonhomme, M. Normand Génier, que le contrat en question était évalué par la GRC à « 600 000, 700 000 ou 800 000 $ ».
« Matériaux Bonhomme a le droit de faire du profit, a commenté notre source, mais ce cas-ci est très exagéré. »
« À moins qu’elle ne soit complètement en or, a ajouté Pierre Daviault, il est impossible qu’une clôture comme celle de Montebello ait coûté ce prix-là. J’en ai discuté récemment avec mes collègues d’autres entreprises comme la mienne, notamment les compagnies Spec-II de Boucherville, Clôtures Fortin de Laval et Clôtures Montréal inc., des maisons qui sont en affaires depuis près de 50 ans. En tenant compte des plus hautes exigences industrielles et sécuritaires, comme celles demandées pour le sommet de Montebello, en tenant compte du coût de démontage également, tout le monde était d’accord qu’à 250 000 $ personne n’aurait refusé ce contrat. Et à ce prix, c’est très bien payé, largement payé ! »
« Un quart de million, cela aurait été bien payé, a confirmé à La Presse un autre fabricant qui a demandé à ne pas être identifié. Je l’aurais même construite dans les grosses tempêtes d’hiver à ce prix-là ! »
M. Daviault a également qualifié d’incompréhensible le fait qu’aucun fabricant de clôtures du Québec et de l’Ontario, mis à part Matériaux Bonhomme, n’ait été sollicité par la GRC afin de présenter un devis. « Je me souviens, a-t-il dit, qu’au sommet de la Francophonie à Québec, il y avait eu appel d’offres pour la clôture. »
Une porte-parole de la GRC, le caporal Élaine Lavergne, a expliqué à La Presse que le peu de temps laissé au corps policier pour mettre en place le plan de sécurité de la rencontre explique la procédure accélérée pour commander la clôture et le coût élevé de cette dernière.
Chez Matériaux Bonhomme, M. Normand Génier, le gérant du département des clôtures, confirme les explications de la GRC. Il insiste également sur le fait que la facture de 874 762,14 $ comprenait le démontage de l’installation temporaire.
« Il fallait également respecter l’environnement en limitant au strict minimum le dérangement de la faune et de la flore, a ajouté le caporal Lavergne. Il fallait aussi assurer la continuité des opérations hôtelières au complexe Montebello. »
Quant à l’absence d’appel d’offres, la GRC nous a renvoyés au ministère des Travaux publics. Au cabinet du ministre Michael Fortier, l’attaché de presse Frédéric Baril n’a pas voulu répondre aux questions de La Presse. Il nous a mis en communication avec des fonctionnaires du Ministère.
Un porte-parole de Travaux publics Canada, Denis Simard, a par la suite confirmé que le contrat pour la clôture de Montebello « a été négocié en source unique avec Matériaux Bonhomme », et cela, en conformité avec la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor, notamment avec l’article (10.2.1.d) qui permet au gouvernement de se soustraire à l’obligation de lancer un appel d’offres lorsque le contrat ne peut être exécuté que par une seule entreprise.
« Pour des raisons techniques, a expliqué Denis Simard, la GRC a déterminé que seul le produit fabriqué par Alabama Metal Industries Corporation (AMIC), qui est situé à Birmingham en Alabama, était conforme aux exigences de sécurité. Matériaux Bonhomme fut identifiée comme étant la seule compagnie pouvant fournir le produit en question. »
C’est un argument fallacieux, soutiennent à l’unisson des concurrents de Matériaux Bonhomme, qui affirment avoir eux aussi accès aux produits d’AMIC. « Le marché est aujourd’hui ouvert à tout le monde, affirme Pierre Daviault. Nous achetons nous aussi des matériaux des États-Unis. Nous achetons même de la Chine. »
« Il y a sûrement quelque chose qui s’est passé qui n’est pas correct pour la collectivité, estime M. Daviault. Il est clair, net et précis qu’une clôture de ce prix-là – demandez-le aux fournisseurs, de l’Île-du-Prince-Édouard jusqu’à Vancouver –, moi je n’ai jamais vu cela. »
Avec cette dernière facture, le sommet de Montebello, qui a duré en tout et pour tout 22 heures, aura coûté aux contribuables canadiens 30 millions de dollars.
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Trois agents de la Sûreté du Québec font une ronde près de la clôture érigée près du Château Montebello. (François Roy, La Presse)
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