Le gouvernement québécois vole à la rescousse de la presse d’information écrite au moyen de mesures d’aide totalisant 50 millions de dollars d’ici 2023-2024, dont un nouveau crédit d’impôt remboursable calculé sur les salaires de leurs employés. Mais il laisse en plan les médias électroniques — télé, radio — et les agences de presse, ce qui désole les partis politiques d’opposition à l’Assemblée nationale.
Les entreprises de presse écrite pourront bénéficier d’un crédit d’impôt remboursable équivalant à 35 % des salaires qu’elles auront engagés à compter du 1er janvier 2019 à l’égard de leurs employés voués à « la production de contenu d’information écrit original ou à l’exploitation des technologies de l’information liée à la production ou à la diffusion de tel contenu », a indiqué le ministre des Finances, Eric Girard, après la séance du Conseil des ministres mercredi après-midi. Le crédit d’impôt ne pourra dépasser 26 250 $ par employé, soit 35 % d’un salaire de 75 000 $. « [Il] n’a pas de date d’échéance, donc il est permanent », a-t-il ajouté.
La ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, se tenait à ses côtés.
Pour être admissible, un média devra produire « des écrits originaux » — « des reportages, des portraits ou des entrevues ainsi que des analyses, des chroniques, des dossiers d’enquête ou des éditoriaux » — destinés à la population du Québec sur « minimalement trois thèmes d’actualité parmi les suivants : la politique ; le domaine municipal ; le domaine international ; le domaine culturel ; les affaires et l’économie ; les nouvelles d’intérêt local ; les faits divers », puis les diffuser « sur une publication imprimée, un site Internet d’information ou une application mobile réservée à l’information », peut-on lire dans un bulletin d’information produit par le ministère des Finances.
Selon les évaluations du ministère des Finances, 1200 employés de médias aux quatre coins du Québec pourraient voir leur salaire en partie assumé par l’État québécois, par l’intermédiaire du crédit d’impôt remboursable.
Exode des revenus
« Le but, ici, de ce plan d’intervention est d’aider les journaux écrits qui subissent les contrecoups de l’exode de leurs revenus publicitaires vers les plateformes numériques internationales que vous connaissez tous et toutes », a souligné Mme Roy, montrant du doigt les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). À eux seuls, Facebook et Google accaparent pas moins de 74 % des 6,8 milliards de revenus publicitaires sur le Web au Canada, selon le Canadian Media Concentration Research Project.
Mme Roy a par la suite justifié la mise à l’écart des agences de presse comme La Presse canadienne, qui a réduit ses effectifs au fil des dernières années. « En aidant les journaux, nous allons aider les agences de presse, puisque [leur] client, le journal, aura les moyens d’acheter des textes dans les agences », a-t-elle dit.
D’autre part, le gouvernement caquiste annulera la compensation qu’on exige de la presse écrite pour la valorisation des matières résiduelles, ou « taxe sur le recyclage ». Le plan d’aide pour soutenir les médias écrits prévoit aussi la prolongation du crédit d’impôt pour la transformation numérique des entreprises de la presse d’information écrite jusqu’au 31 décembre 2023.
Enfin, le gouvernement caquiste invite aussi les médias écrits éprouvant de graves difficultés financières à soumettre une demande de soutien temporaire à Investissement Québec.
Le gouvernement québécois veut « accompagner » les médias écrits « dans la transformation de leur modèle d’affaires », a souligné Eric Girard. « Le plan d’aide aux médias écrits s’inscrit ainsi dans une approche équilibrée qui vise trois objectifs, le maintien de centaines d’emplois à travers les régions du Québec, le respect de la capacité de payer des contribuables et préserver la nécessaire indépendance de la presse écrite dans notre démocratie, et j’ajouterais personnellement l’urgence, la pérennité », a-t-il précisé.
Les deux ministres ont convenu d’annoncer ces mesures même si la Commission parlementaire sur l’avenir des médias n’a toujours pas terminé ses consultations et déposé son rapport. Ils ne pouvaient faire autrement en raison de la « crise des revenus » secouant actuellement bon nombre d’entreprises de presse au Québec, à commencer par Groupe Capitale Médias (GCM) dont les six journaux sont à vendre, ont-ils expliqué mercredi. « Nous annonçons les mesures qui serviront à la réflexion des futurs acheteurs, des repreneurs », a affirmé la ministre de la Culture et des Communications.
Cela dit, le gouvernement révisera sa politique de placement publicitaire afin de « mieux soutenir » les médias en région seulement après avoir pris connaissance du rapport de la Commission parlementaire sur l’avenir des médias, a indiqué Mme Roy.
Critiques de l’opposition
« C’est désastreux ! » a lancé l’élue libérale Isabelle Melançon. La députée montréalaise s’est dite « extrêmement déçue » de la sortie médiatique effectuée par M. Girard et Mme Roy mercredi. Mme Melançon presse le gouvernement caquiste de sonner la charge contre les « Google et Facebook de ce monde » et de taxer leurs revenus sans tarder. « Ce qu’on voit, c’est un premier ministre qui a décidé de se mettre à genoux devant la Californie. Google, Facebook, là, doivent rire dans leur salon. Chaque semaine de perdue, c’est de l’argent en moins pour nos médias locaux, régionaux, québécois », a-t-elle fait valoir.
Le gouvernement caquiste a fait un « pas dans la bonne direction » en annonçant des mesures d’aide totalisant 50 millions mercredi, a dit pour sa part le député de Rimouski, Harold LeBel. « Ça donne de l’air. » Il demande aux membres du gouvernement Legault de maintenant élaborer la « politique du gouvernement pour sauver les médias au Québec ». « Priorité : les journalistes », a-t-il ajouté.
L’élue solidaire Catherine Dorion s’explique pour sa part mal pourquoi le gouvernement aidera financièrement un journal ou un magazine à embaucher des chroniqueurs. « On n’a plus d’argent pour faire des enquêtes. On n’a plus d’argent pour faire de la recherche. On n’a plus d’argent pour aller sur le terrain. On a besoin de ça. C’est ça qui manque. Le déluge de chroniqueurs qui est arrivé dans l’information dans les dernières décennies est une réaction au fait qu’il n’y avait plus d’argent [et] parce que [la chronique,] ça fait faire du clic. Là, est-ce qu’on va donner 25 000 $ par année d’argent public à des chroniqueurs, dont certains font énormément de cash, qui n’en ont vraiment pas besoin ? » a-t-elle demandé.