Nous serions « un petit peuple ». L’expression lancée par Pauline Marois au moment des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi 115 en a fait bondir plusieurs. Jean Charest a répliqué immédiatement que le Québec est un grand peuple. Il ne faut pas applaudir trop vite.
Jean Charest est ici de mauvaise foi. Il a déformé la pensée de Pauline Marois qui ne faisait que rappeler une vérité élémentaire : le peuple québécois est un peuple historiquement fragile. Minoritaire en Amérique, politiquement subordonnée au Canada, sa situation est fondamentalement précaire et le maintien de son identité demeure encore aujourd’hui l’objet d’un combat.
En fait, Pauline Marois a fait usage d’une expression plus juste qu’elle ne le croit : « petit peuple ». Elle aurait aussi pu dire « petite nation » comme le fait l’écrivain tchèque Milan Kundera qui a consacré une partie de son œuvre à explorer le sort des petites nations. Pour Kundera, ce qui caractérise la petite nation, c’est que son existence demeure toujours précaire, et même incertaine.
De ce point de vue, et contrairement à la France ou aux États-Unis, le Québec est une petite nation. Cela ne veut évidemment pas dire que le peuple québécois est incapable de grandeur mais qu’il trouve sa grandeur dans la lutte pour son existence. Cela ne veut pas dire non plus que la question identitaire ne se pose pas ailleurs, mais qu’elle se pose avec une tonalité particulière au Québec.
D’ailleurs, si les Québécois ne caricaturaient pas leur histoire d’avant la Révolution tranquille sous les traits de la Grande noirceur, ils sauraient qu’elle fut d’abord une histoire honorable de survivance. Alors qu’on a souvent décrété leur prochaine disparition et que certains l’ont souhaité, ils ont lutté fort pour gagner leurs droits et les conserver.
Avec la Révolution tranquille, les Québécois ont fait de l’imposition de la langue française le critère élémentaire de la dignité collective. Ils ne voulaient plus vivre en exil dans leur propre pays. C’était l’objectif de la loi 101. Aujourd’hui, la loi 115 officialise une stratégie de contournement de nos lois linguistiques qui compromet plusieurs décennies d’efforts.
Le nationalisme québécois est celui d’un peuple qui n’a jamais eu de prétention impériale. Il valorise la transmission d’une même identité historique et nous rappelle que chaque génération porte une responsabilité particulière dans le maintien d’un héritage aussi fragile que précieux. Plutôt que de s’en moquer, Jean Charest devrait s’en inspirer.
Un petit peuple?
Écoles passerelles - Loi 115
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]
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