Un moment de silence...

Tribune libre

''Ce qui est terrible, ce n'est pas de souffrir ni de mourir, mais de mourir en vain''. Jean-Paul Sartre

Samedi le 26 février, au cimetière de Tadla Azilal, la marocaine Fadoua Laroui, 21 ans, a été accompagnée à sa dernière demeure par des centaines d'habitants. Lundi 21 février, elle s'est immolé publiquement par le feu devant l'hôtel de ville de ''Souk Essabt'' au centre du Maroc. Deux jours plus tard elle a rendu l'âme dans un hôpital de Casablanca, laissant deux enfants derrière elle.
Ce message, je l'adresse plus particulièrement à mes chers compatriotes. Je vous invite à un moment de silence à la mémoire de cette jeune maman qu'on a traité de folle parce qu'elle a osé réclamer un droit fondamental, avoir un toit sur la tête pour toute sa famille et pour ses deux enfants. Un moment de silence à la mémoire d'une femme dont le crime est d'avoir réclamé un peu de dignité. Un moment de silence à la mémoire de la première femme arabe à se tuer par le feu en marge des dernières protestations populaires que connaît le Maghreb.
Fadoua serait aujourd'hui vivante et probablement une jeune mère heureuse et reconnaissante si elle avait pu rencontrer Mohammed VI en personne pour lui raconter son enfer. Celui d'avoir été expulsé avec toute sa famille de sa baraque sans jamais rien recevoir en retour. D'après certaines sources, elle aurait multiplié les appels aux autorités: ''redonnez-moi ma baraque''. On lui aurait répondu ''Vas t-en espèce de folle''. Selon certaines informations, le fait que Fadoua soit une mère monoparentale n'aurait pas aidé sa cause pour obtenir un logement social. J'espère que les autorités ont déjà ouvert une enquête pour qu'un tel drame ne se répète plus.
Mohammed VI ne peut pas être partout. Le roi a beau incarner l'État, l'état n'est pas toujours à la hauteur de sa bonne volonté. Souvent l'état n'en a pas les moyens. D'autre part, l'assistanat royale a ses limites. Tous ces pauvres et tous ces jeunes diplômés sans emplois qui rêvent de rencontrer le roi, pour mettre fin à leurs problèmes, se nourrissent plus d'utopie que d'espoir. Ce n'est pas de la charité dont les marocains très pauvres ont besoin. Ils ont besoin d'être entendu et respecté en tant que citoyens par l'État, quelque soit leur classe sociale.
Le suicide de Fadoua est le point culminant du mouvement de protestations depuis le 20 février. Le régime marocain doit en retenir la leçon qui s'impose. Tôt ou tard, le cri d'alarme de Fadoua finira par parvenir à tous ceux comme elle qui réclament la dignité. Ne pas le reconnaître, ne pas en prendre conscience, c'est choisir l'aveuglement comme option politique. Pas besoin de faire un dessin pour illustrer les conséquences d'une telle option.
Oui, le Maroc progresse depuis 11 ans. Ne pas le reconnaître serait aussi faire preuve d'un autre aveuglement! Mais force est de constater que certains progrès profitent davantage à certains profiteurs et cela, des marocains comme Fadoua ne le supportent plus. Le Maroc n'est pas un pays pauvre. Le Maroc est un pays appauvri par les inégalités qui séparent les riches de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Cette réalité est le plus grand danger qui guette notre pays et son régime.
En Tunisie, Mohammed Bouazizi s'est immolé et cela a accéléré la fin du régime Ben Ali. Au Maroc, la mort tragique de Fadoua Laroui doit accélérer les réformes entamées depuis 11 ans, notamment, en matière de logement social. Un conseil économique et social a été nommé au lendemain de la manifestation nationale du 20 février. Je crois que des gestes plus fort et plus concrets doivent être posés dans les jours qui viennent!
À mon humble avis, faire appel aux militaires pour augmenter la présence policière ne fera que donner plus d'ampleur aux protestations à venir. Arrêter les casseurs et les condamner sans enquêtes sérieuses, cela non plus n'arrêtera pas la protestation. La seule réponse politique qui s'imposent dans les circonstances ce sont des gestes forts et concrets. Des gestes qui redonnent à une bonne partie de la population marocaine de la confiance et de l'espoir dans son avenir.
Peu importe les raisons qui nous ont amené à cette crise, elle est là devant nous, à nous de la reconnaître et de lui faire face. Et ce n'est pas uniquement en criant Allah, alwatan, almalik (Dieu, la Patrie, le Roi) que la crise se dissipera comme par magie. Je me dissocie de toutes les positions trop partisanes qui désignent l'autre comme le seul coupable ou le seul responsable de ce qui nous arrive. Toutes les voix ont leurs légitimités exceptée celle qui divisent! Comme par exemple celle de Yazami qui a traité de diables les manifestants du 20 février. Ce imam de Casablanca et membre d'un parti islamiste a appelé, dans un vidéo publié par herspress, à poursuivre les organisateurs des manifestations. Dans les circonstances, ce genre de voix, au lieu de mettre de l'huile sur le feu, ferait mieux de garder le silence. Autrement dit, de la fermer.
Par ailleurs, je m'attends à ce que l'histoire tragique de Fadoua soit récupérée et instrumentalisée par certains anti-monarchistes et par tous ceux et celles qui espèrent voir le chaos s'étendre au Maroc. À nous tous, amoureux du Maroc et attachés à son unité et à sa stabilité de les surprendre. La tragédie de Fadoua doit nous unir, d'abord en observant un moment de silence à sa mémoire et ensuite en faisant d'une sorte qu'elle ne soit pas morte pour rien.
Mohamed Lotfi
anonymes@gmail.com

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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