Un père, une mère... et un père. Le gouvernement devrait permettre à un enfant d'avoir trois parents, demande un juge de Joliette qui devait trancher le sort d'un enfant mis au monde « coopérativement » par un couple de lesbiennes et un homme trouvé sur l'internet.
Le couple a éclaté, mais les trois individus continuent à prendre soin de la fillette, maintenant âgée de 3 ans. La loi devrait reconnaître cette situation, selon le magistrat, parce que l'impossibilité actuelle « pose problème eu égard à la réalité sociale de 2018 ».
À défaut, le juge a dû à contrecoeur expulser la mère non biologique du certificat de naissance afin de faire de la place pour le père biologique de l'enfant, qui souhaitait y apparaître.
« Au lieu d'être en mesure de formaliser la situation par une filiation à trois parents pour le bien de l'enfant, ils se retrouvent dans un combat juridique, tentant d'en éliminer un parmi eux, a regretté le juge Gary Morrison. De quelle façon peut-on conclure que cette situation est dans le meilleur intérêt de l'enfant ? »
Le parent dont le nom a été supprimé du certificat de naissance qualifie la décision d'« immorale ». « Moi, ma fille m'appelle papa, elle me saute dans les bras et elle s'en fout, elle », a-t-il dit. Christian* s'appelait Christiane* au moment de la naissance de la fillette et était marié à Johanne*, mais est depuis en transition pour devenir un homme.
« ENTENTE POUR METTRE UN ENFANT AU MONDE »
C'est sur l'internet que Christiane et Johanne, un couple lesbien de longue date installé dans les Laurentides, ont trouvé Jonathan* dans le but d'avoir un enfant. Ils signent devant un notaire un document qu'ils intitulent « Entente pour mettre un enfant au monde ».
Le texte indique bien que le bébé est un projet des trois individus qui désirent « individuellement et coopérativement mettre au monde et aimer un enfant, dans un contexte d'amour et de diversité ».
C'est Johanne qui est désignée pour porter l'enfant, alors que Jonathan fournira son sperme. Ils tentent d'abord des « méthodes artisanales », puis disent avoir eu des relations sexuelles à l'insu de Christiane. Ils ne savent pas laquelle de ces techniques a fonctionné.
Fin 2013, Johanne est enceinte. Elle donnera naissance à Charlotte* en 2014. Le couple de lesbiennes, Johanne et Christiane, signe l'acte de naissance. Aux yeux de la loi, ce sont elles, les deux mères, mais l'enfant est gardé à tour de rôle par le couple et par Jonathan.
Mais lorsque le couple éclate, la petite Charlotte se retrouve prise dans une bataille rangée. Jonathan se présente devant la justice pour que son nom soit inscrit sur le certificat de naissance et demande que celui de Christiane (devenu Christian) soit supprimé.
« JE PERDS TOUS MES DROITS »
C'est le juge Gary Morrison lui-même qui a soulevé la question de la triparentalité.
« Le meilleur intérêt de l'enfant mineure [Charlotte] requerrait que la loi permette la reconnaissance de sa réalité, soit que sur les plans émotionnel et socioéconomique, elle a effectivement toujours eu trois parents. » - Le juge Gary Morrison
À défaut - et après avoir vérifié que les règles encadrant la procréation assistée ne s'appliquaient pas -, le magistrat a tranché avec les règles classiques de filiation par le sang : Johanne et Jonathan sont les parents biologiques, ce sont eux qui figureront au certificat de naissance. Tant pis pour Christian.
Celui-ci se dit victime d'une décision « transphobe ». Il continue à avoir la fillette une fin de semaine sur deux, alors que Jonathan et Johanne se l'échangent chaque semaine. Ceux-ci n'ont pas voulu commenter la situation.
« Dans le fond, je perds tous mes droits », a déploré Christian. Lui-même est opposé à la possibilité que trois personnes se trouvent sur le certificat de naissance, plaidant que la situation ouvrirait la porte à des conflits.
PAS SEULEMENT POUR LES COUPLES HOMOSEXUELS
Ce n'est pas l'avis de Mona Greenbaum, qui dirige la Coalition des familles LGBT. Selon elle, le gouvernement devrait effectivement faire évoluer la loi en y inscrivant la possibilité qu'un enfant ait trois parents ou même davantage (la « pluriparentalité »).
« Il faut que le droit encadre ce qui existe dans notre société. » - Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles LGBT
Mme Greenbaum a souligné qu'il ne s'agissait pas d'un enjeu strictement LGBT. Elle a notamment évoqué l'exemple d'une famille montréalaise hétérosexuelle qui a eu recours au sperme d'un autre homme pour avoir un enfant. Les trois adultes agissent comme parents auprès de l'enfant.
Plus généralement, elle a souligné la situation de tous les beaux-parents qui prennent beaucoup de place dans la vie des enfants de leur conjoint, parfois jusqu'à prendre plus d'importance réelle que l'autre parent biologique, et qui n'ont « aucune reconnaissance légale ». « C'est dans l'intérêt de tout le monde dans la société qu'on commence à reconnaître les familles pluriparentales », a-t-elle dit.
* Noms fictifs
AVIS D'EXPERTS
Psychologie
« Ça existe déjà des coparents qui sont les grands-parents, qui agissent comme figures parentales. Ou encore les parents par alliance [beaux-parents] qui agissent comme coparents. Et ce n'est pas le problème : l'enjeu [pour le développement de l'enfant], c'est la qualité de la relation, la qualité de l'investissement et la permanence. Si l'individu a un rôle auprès de l'enfant, il ne peut pas disparaître par après, il faut qu'il y ait une stabilité. »
- Julie Laurin, professeure adjointe en psychologie à l'Université de Montréal
Travail social
« Ce qui fait la différence, c'est vraiment la façon dont les adultes s'entendent. C'est ça l'enjeu. Si les adultes s'entendent bien, le développement des enfants est conséquent. [...] Quand on fait des enfants à trois ou à quatre, on réfléchit avant de faire des enfants. Quand on fait des enfants à deux dans un couple hétérosexuel, on peut avoir réfléchi, on peut être rendu là, mais ça peut être aussi par accident. »
- Isabel Côté, professeure de travail social à l'Université du Québec en Outaouais