Un fossé inquiétant

Une explication à côté de la plaque...


Quand il est question des Juifs au Québec, le fossé entre la réalité et les préjugés est incroyable sinon inquiétant. Comment peut-on, dans une société instruite et développée, confondre les Juifs en général avec les hassidim, cette communauté ultra-orthodoxe et marginale qui a autant de points communs avec les juifs que la secte des Apôtres de l'Amour infini en a avec les catholiques?

C'est pourtant ce qui ressort d'un sondage pancanadien mené à l'initiative de l'Association des études canadiennes et dont La Presse a publié la semaine dernière les grandes lignes. Les résultats sont accablants.
Ainsi, 74% des Canadiens hors Québec... mais deux fois moins de Québécois (41%) estiment que les Juifs «ont fait une contribution importante à la société».
Si 72% des Canadiens hors Québec considèrent que les Juifs «veulent pleinement participer à la société», [deux fois moins de Québécois (34%) pensent de même.->1568]
Quelle méconnaissance de la réalité, quand on pense à l'apport considérable des Juifs à la société québécoise, que ce soit en médecine, dans le droit, les arts, l'enseignement, les affaires... Mentionnons en passant que bien avant la loi 101, nombre de Juifs avaient appris le français même s'ils avaient été scolarisés en anglais.
Plus loufoque encore, 41% des Québécois pensent que les Juifs «veulent imposer leurs coutumes et leurs traditions aux autres» (c'est l'opinion de seulement 11% des autres Canadiens). La vérité est aux antipodes: les juifs, contrairement aux chrétiens qui ont produit des générations de missionnaires, ne sont absolument pas prosélytes. Il est même fort difficile de se convertir au judaïsme.
Quant aux hassidim, qui de toute façon ne souhaitent pas de contact en dehors de leur communauté, il va de soi que la dernière chose qu'ils veulent, c'est de conscrire leurs voisins dans leurs synagogues! Ils veulent conserver leurs traditions dans leur petite bulle fermée aux autres, c'est tout.
Bien sûr, on voit tout de suite où loge une partie du malentendu. Montréal est la ville qui compte la plus forte proportion de hassidim au Canada. Ils sont presque tous à Outremont, alors que la vieille communauté juive ashkénaze s'est surtout concentrée dans les secteurs de l'ouest de l'île.
En fait, les Hassidim sont les seuls Juifs identifiables visuellement, et en plus les seuls qui sont concentrés en milieu francophone. Ils ont été photographiés et filmés ad nauseam, et comme certains d'entre eux ont été impliqués dans des querelles locales entre voisins, et à l'origine de deux ou trois histoires d' «accommodements», ils ont eu une visibilité démesurée, ce qui pousse nombre de Québécois à les identifier comme représentant «les Juifs».
C'est une vision complètement tordue. L'immense majorité des quelques 93000 Juifs montréalais n'a aucun signe distinctif - en fait, une bonne partie des Juifs est laïque, les autres allant à la synagogue aussi peu souvent que les catholiques à l'église... La judaïté, de nos jours, est principalement une culture, une fidélité à l'histoire. Pas une religion, encore moins une ethnie.
Je mettrais ma main au feu que nombre de Montréalais qui disent n'avoir jamais eu de contact avec des Juifs en ont rencontré plusieurs... mais sans le savoir, parce qu'ils les confondent avec des «Anglais» ! Quant aux Juifs d'immigration récente, les sépharades qui viennent d'Afrique du Nord et sont de langue maternelle française, je parierais volontiers que bien des Québécois de souche les prendront au premier abord pour des Arabes libanais ou marocains!
Le Québec est-il particulièrement antisémite? Concernant les actes, certainement pas. Ces dernières années, il y a eu beaucoup plus d'actes antisémites en Ontario qu'au Québec. Mais concernant les attitudes, c'est autre chose. Le Québec a la palme de l'ignorance et des préjugés.
Cela vient en partie d'une longue histoire, qu'on ne ressassera pas ici mais qui a laissé des traces profondes. Cela vient aussi d'un manque de contacts entre les communautés. Contrairement aux autres provinces, où tous les jeunes vont à la même école publique et fréquentent les mêmes universités, l'univers scolaire du Québec est fractionné entre les réseaux publics francophone et anglophone et un secteur privé plus florissant qu'ailleurs. Le fossé n'est pas à la veille de se rétrécir...


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