Des liens d’amitié unissent un ex-avocat de SNC-Lavalin et son supérieur qui l’a promu patron des enquêtes à l’Autorité des marchés financiers (AMF), au moment où la firme de génie se trouvait sous la loupe de l’organisme de surveillance, a appris notre Bureau d’enquête.
Frédéric Pérodeau a quitté SNC-Lavalin en avril 2012. Il a aussitôt été embauché comme chef du contentieux à l’AMF. Six mois plus tard, il obtenait une promotion au poste de directeur principal des enquêtes.
C’est Jean-François Fortin, directeur du contrôle des marchés, qui a pris cette décision, a affirmé récemment le porte-parole de l’AMF, Sylvain Théberge.
La semaine dernière, notre Bureau d’enquête a rapporté que l’arrivée de M. Pérodeau avait créé un malaise parmi les enquêteurs chargés du dossier SNC-Lavalin.
L’AMF a indiqué que l’enquête, baptisée Projet Faucon, avait été confiée à un autre cadre pour éviter les apparences de conflit d’intérêts.
McCarthy Tétrault
Seul candidat reçu en entrevue par M. Fortin pour le poste de directeur principal des enquêtes, M. Pérodeau était également son ami, a indiqué M. Théberge.
«Messieurs Pérodeau et Fortin se connaissent depuis qu’ils ont été collègues au cabinet d’avocats McCarthy Tétrault entre les années 2000 et 2008, et sont effectivement des amis», dit M. Théberge.
Mais en plus du malaise provoqué par les liens de M. Pérodeau avec SNC-Lavalin, ceux qu’il avait avec le cabinet McCarthy Tétrault suscitaient également des réactions.
«La joke à l’interne était que les enquêtes à l’AMF étaient une filiale de McCarthy Tétrault», a dit un des ex-employés à qui nous avons parlé.
En plus de M. Pérodeau et de M. Fortin, Nathaly Marcoux, alors directrice des enquêtes pour la manipulation de marchés et les délits d’initiés, était également une ancienne avocate de chez McCarthy Tétrault.
Sélection
L’AMF a défendu la rigueur du processus de sélection de M. Pérodeau. Selon M. Théberge, pour le poste de chef du contentieux, il a dû se soumettre à l’examen d’un comité de sélection ainsi qu’à des tests psychométriques. Ce processus n’a pas été jugé nécessaire pour sa promotion, en novembre 2012.
«Il s’agissait d’une promotion interne dans un poste de plus grande envergure au sein de la direction générale», a fait valoir M. Théberge.
Pourtant, M. Pérodeau a dû se soumettre, environ cinq ans plus tard, à un autre processus pour obtenir une nouvelle promotion. Nommé surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution, en janvier 2018, il a dû se plier encore une fois à l’examen de comités de sélection en plus d’avoir à subir d’autres tests psychométriques, a indiqué l’AMF.
DOSSIER PROJET FAUCON
1• L’Autorité des marchés financiers a ouvert en mai 2012 cette enquête sur SNC-Lavalin.
2• Quatre des plus hauts dirigeants de l’entreprise et cinq investisseurs institutionnels étaient visés par des soupçons de délit d’initiés, soit d’avoir transigé illégalement sur le titre boursier de leur employeur SNC-Lavalin.
3• Les enquêteurs soupçonnaient également l’entreprise d’avoir transmis à ses actionnaires de fausses informations financières concernant des commissions secrètes.
4• Après consultation du plan de l’enquête de l’Autorité des marchés financiers, notre Bureau d’enquête a notamment découvert qu’au moins la moitié des personnes que l’AMF voulait interroger n’ont jamais été rencontrées par ses enquêteurs.
5• L’AMF a fermé le dossier en 2015 sans déposer de poursuite. L’organisme assure que le dossier a été traité normalement, sans ingérence d’aucune sorte.
6• Le gouvernement a demandé des explications sur la conduite de l’enquête. Un enquêteur indépendant a été mandaté la semaine dernière.