Stephen Harper, qui exerce un contrôle jaloux sur son horaire et sur sa politique, avait tout prévu pour un été productif mais sans risque: quelques visites au Canada, une première sortie internationale, dont un premier G8, quelques discrètes réunions du cabinet, une deuxième visite à son ami George Bush.
En principe, rien de bien dangereux. Jusqu'à ce que le Moyen-Orient ne s'embrase de nouveau. Les bombes n'ont pas ébranlé que la région, elles ont aussi fait éclater le petit plan pépère de Stephen Harper, qui navigue à vue depuis près d'un mois.
M.Harper ne pouvait évidemment pas voir venir cette crise, mais il faut bien admettre qu'il ne s'est pas beaucoup aidé en déclarant avec un froid détachement que la riposte d'Israël au Liban était "mesurée". Même froideur devant la mort de dizaines de civils, jour après jour, et après le bombardement par Israël d'un poste de Casques bleus dans le sud du Liban, qui a fait quatre morts, dont un Canadien.
"Israël a le droit de se défendre", répète inlassablement M. Harper, comme si cela rendait inévitable la mort de civils et la destruction des infrastructures du Liban. Bien sûr qu'Israël a le droit de se défendre, là n'est pas la question. Bien sûr que le Hezbollah met volontairement le feu aux poudres. Mais pour la majorité des Canadiens accablés par cette violence tous les soirs devant leur téléviseur, les enfants libanais écrasés dans les ruines de leur maison n'ont rien de dangereux terroristes. La majorité des Canadiens préféreraient entendre leur premier ministre demander la fin des hostilités et la protection des civils plutôt que défendre sans nuances le principe d'autodéfense.
C'est cette froideur, qui s'approche dangereusement de l'indifférence par moments, qui a probablement le plus choqué les Canadiens, un peuple reconnu, justement, pour sa grande compassion. C'est aussi cette froideur qui a causé l'écart observé ces derniers jours dans les sondages entre le gouvernement Harper et les Canadiens. Stephen Harper est un stratège redoutable qui sait lire une carte politique, mais il a cette fois très mal jugé l'opinion publique canadienne.
M.Harper, qui semble s'inspirer beaucoup du président Bush dans sa gestion des affaires internationales, devrait aussi tirer quelques leçons des ratés de ce dernier dans son propre pays. En temps de guerre, le premier ennemi d'un gouvernement, c'est sa propre opinion publique.
En ce sens, la chute des conservateurs dans les récents sondages, en particulier au Québec, a de quoi inquiéter le premier ministre. D'autant plus que son principal adversaire, le Parti libéral, n'a même pas de chef en ce moment.
On peut bien sûr débattre pendant des semaines de la position traditionnelle du Canada envers Israël, sur le Moyen-Orient ou, plus généralement, sur le droit à l'autodéfense d'un pays attaqué, mais on s'éloigne de l'essentiel: les Canadiens, en grande majorité, sont des gens pacifiques. C'est bien connu, les Canadiens sont polis. Tellement polis, en fait, qu'ils en deviennent "plates". On se moque de nous, d'ailleurs, chez Jay Leno ou ailleurs, en disant que l'on reconnaît facilement les Canadiens dans une foule parce que ce sont ceux qui disent "sorry, sorry" chaque fois qu'ils effleurent quelqu'un du coude.
En temps de conflit armé, les Canadiens veulent être "neutres", comme le démontrait un sondage la semaine dernière. Voilà qu'ils ont un premier ministre plutôt guerrier, d'où le heurt.
Même chose pour l'Afghanistan, d'ailleurs. Stephen Harper a froidement prévenu ses compatriotes dès qu'il a pris le pouvoir: nous faisons la guerre aux terroristes, il y aura des morts, mieux vaut vous y habituer.
Quand il pense à un soldat, le Canadien moyen voit un Casque bleu. Stephen Harper, lui, voit un chasseur de talibans. Quand il pense au Moyen-Orient, le Canadien moyen voit son pays en modeste médiateur. M. Harper, lui, le voit en allié inconditionnel d'Israël. Le Canadien moyen veut que son pays soit "neutre". Son premier ministre lui réplique que c'est impossible. Le Canadien moyen, et encore plus le Québécois moyen, se méfie de George Bush. M. Harper, au contraire, puise en lui son inspiration.
Autre erreur politique, plus grave encore: trop se coller sur le président américain, au point de disparaître dans son ombre. C'est ce qui risque de faire le plus mal au gouvernement Harper.
Après un été orageux, l'automne s'annonce chaud pour M. Harper. On l'accuse de suivre aveuglément la Maison-Blanche dans la guerre au Moyen-Orient. Même chose avec le protocole de Kyoto, dont on attend une nouvelle mouture à l'automne. En plus, l'industrie forestière canadienne accuse Washington de lui avoir passé un sapin dans le projet de règlement du conflit du bois d'oeuvre.
M. Harper va devoir démontrer qu'il est capable de prendre ses distances de l'administration Bush, autrement, c'est une partie de son électorat qui risque de prendre les siennes.
Mais pour le moment, les liens Ottawa-Washington sont plutôt serrés. Voici une petite histoire révélatrice passée inaperçue dans les médias francophones cet été.
Le Collège militaire royal de Kingston avait décidé le printemps dernier de décerner un doctorat honorifique à un général américain à la retraite, Anthony Zinni, en reconnaissance de sa collaboration avec l'armée canadienne en Somalie et lorsqu'il était à la tête du US Central Command.
Malheureusement pour lui, le général Zinni avait fait parler de lui il y a quelques mois en signant avec cinq autres généraux à la retraite une lettre accusant le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, de n'avoir tenu aucun compte de l'avis des militaires avant de lancer l'invasion de l'Irak.
Pas de diplôme canadien pour le général contestataire, ont tranché le ministre de la Défense, Gordon O'Connor, et le bureau du premier ministre. On ne badine pas avec l'humeur de l'Oncle Sam.
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