«Trump a cassé tous les codes»

Entretien avec l’ex-ambassadeur François Nicoullaud

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L'éléphant dans le magasin de porcelaine






Causeur: Le président élu des Etats-Unis mène une diplomatie nouvelle qu’illustre l’incident taïwanais. Il y a d’abord ce qui semble être la volonté d’engager un rapport de force avec la Chine mais au-delà du fond, la forme est aussi nouvelle. Il ne s’agit pas uniquement d’une diplomatie du tweet, mais d’un rejet de la diplomatie traditionnelle : quand Trump s’interroge: « n’ai-je pas le droit de parler au téléphone avec le chef de l’Etat auquel nous vendons des armes ?», il se moque de la langue de bois, c’est-à-dire du langage diplomatique. Peut-on faire de la diplomatie en restant parfaitement clair, direct et transparent ?


François Nicoullaud:1 Bien sûr. La meilleure des diplomaties se fait lorsque l’on prend soin d’être clair, direct et transparent avec ses interlocuteurs… Paul Cambon, qui a été ambassadeur de France à Londres au début du XXème siècle,  répondait « je n’ai jamais menti » à ceux qui lui demandaient comment il était parvenu à entraîner la Grande-Bretagne aux côtés de la France dans la Première Guerre mondiale. Talleyrand disait à peu près la même chose à la fin de sa vie : « non, la diplomatie n’est point une science de ruse et de duplicité. Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c’est surtout dans les transactions politiques, car c’est elle qui les rend solides et durables. On a voulu confondre la réserve avec la ruse. La bonne foi n’autorise jamais la ruse, mais elle admet la réserve : et la réserve a cela de particulier, c’est qu’elle ajoute à la confiance. » Mais Donald Trump, c’est évidemment tout autre chose. Ses foucades, ses propos contradictoires, ses provocations, l’empêcheront vite, s’il continue sur cette ligne, de construire des relations de confiance avec ses interlocuteurs. Cela ne l’empêchera peut-être pas de remporter quelques succès diplomatiques. Mais s’il ne s’amende pas, ils ne pourront être durables.


La bonne foi et la franchise pourraient être importants voire nécessaires dans les relations entre diplomates des différents pays et surtout entre dirigeants de différents pays. La question n’est pas ce que dit Trump à ses homologues, mais ce qu’il “tweete” à des électeurs et donc à l’opinion publique, y compris chez l’adversaire. Talleyrand a eu la chance de ne pas devoir gérer la « com’ » et Cambon n’a pas été obligé de réagir à des tweets de Lloyd George ou d’Asquith… Est-ce qu’un discours public clair et sans hypocrisie – comme celui de Trump concernant Taïwan – ne rendrait pas la diplomatie presqu’impossible ou, pire, multiplierait les conflits ?  


C’est vrai, pour en rester à Talleyrand, il prône la franchise, mais aussi la réserve. Pour créer la confiance chez son interlocuteur, il faut que celui-ci ait l’assurance que ce qu’il dit ne va pas se retrouver sur la place publique. La diplomatie secrète, ou en tout cas discrète, a donc ses vertus. L’époque contemporaine a vu se développer une diplomatie par médias interposés – déclarations, communiqués, interviews et aujourd’hui tweets et messages sur réseaux sociaux. Cette façon d’agir permet à l’émetteur de prendre des poses avantageuses, de faire plaisir à son opinion publique, mais contribue rarement à la solution des problèmes.


La victoire de Trump démontre l’efficacité politique d’un discours outrancier, vulgaire et brutal. Cette façon de parler semble être considérée comme franche, venant d’un orateur qui ne prend pas l’audience de haut, et n’exprime pas sa supériorité sociale à son public.  Les vieilles démocraties fondées sur l’égalité sont-elles condamnées à un débat de charretiers ? 


Non, je ne crois pas, les débats autour des élections majeures en Europe sont et devraient rester plutôt de bonne tenue. Mais le point de faiblesse de nos démocraties, y compris de la démocratie américaine, est peut-être que les élections, parfaitement démocratiques et respectueuses de l’égalité des citoyens, mettent néanmoins en place, il faut bien le constater, des oligarchies politiques, et aussi économiques. Non que les élites installées au pouvoir soient totalement fermées. Elles font monter parmi elles des éléments nouveaux, mais ceux-ci, pour s’y intégrer et pour réussir, doivent en respecter les codes. Les électeurs ont donc le sentiment, pas tout à fait faux, d’avoir été floués… Trump est évidemment le produit de l’oligarchie économique, mais c’est vrai qu’il a cassé tous les codes, et c’est ainsi qu’il s’est fait élire. Nous allons voir à présent s’il continue sur la même ligne, auquel cas la situation pourrait vite devenir compliquée pour lui, ou s’il se résigne à les respecter une fois en charge du pays.


 



  1. François Nicoullaud est analyste de politique internationale, ancien ambassadeur de France en Hongrie et en Iran




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