[M. Cloutier->642], c'est avec stupeur que j'ai lu votre article engagé et virulent paru le 29 mars dernier dans le journal Le Devoir, aussi respectable soit-il. Vous vous plaisez à décrire une société française réactionnaire, opiniâtre dans son immobilisme et perdue dans ses rêves révolutionnaires d'antan. Monsieur, bien que ce billet ne doive aucunement vous blesser en tant qu'homme, je me permets de vous répondre avec autant de verve dont vous-même en avez usé.
Avant de poursuivre, il semble clair que vous soyez Québécois, attaché à votre système économique qui devrait, selon vous, être répandu à travers le monde tout comme tend actuellement à l'être une certaine conception pétrolière de la démocratie. Vous vous permettez de comparer la situation de votre province à celle de la France. Je ne rentrerai pas aujourd'hui dans les différences qui opposent la France et le Québec, différences sociales et culturelles incomparables.
Grossière comparaison
Que vous soyez pour l'application du contrat première embauche, que vos idées soient libérales, que vous les exprimiez, libre à vous, ceci est votre droit le plus strict et le plus inaliénable. Mais que vous fassiez cette comparaison grossière entre le Québec et la France, Monsieur, cela, je ne vous le permets point. Je tiens à vous rappeler que la France a toujours été républicaine, attachée à ses valeurs démocratiques. Monsieur, avec trois millions de personnes battant les pavés, avec trois millions de personnes de tous bords, de toutes classes sociales réunies autour d'un même combat qui est la sauvegarde d'une dignité d'être humain, avec trois millions de personnes refusant un passage en force illégitime du gouvernement, je n'appelle pas cela «une révolte qui prône l'immobilité», pour reprendre vos mots, mais une volonté de préservation de nos acquis sociaux bien loin du communisme, une affirmation du pouvoir du peuple, une affirmation du pouvoir de la rue, car c'est bien la rue qui gouverne, c'est bien la rue qui subit amèrement les turpitudes d'un gouvernement illégitime.
Illégitime, oui, vous constaterez que le mot sera récurrent dans mes propos. Je ne vous rappelle pas que Dominique de Villepin a été l'intérimaire in extremis, le prédécesseur d'un ministre de la France d'«en haut», chassé par la France d'«en bas» après un référendum démocratique dont le résultat ne peut être contesté et qui reste révélateur d'une volonté de ne pas subir les lois de votre beau marché, de ne pas subir les décisions profitables à une minorité que vous semblez côtoyer par l'intermédiaire du périodique où vous exercez.
Illégitime car, outre le fait que la loi soit passée avec un article de loi des plus dangereux pour une démocratie, le fameux article no 49-3 qui accélère le vote d'un texte sans aucune concertation, outre cet article et cette manoeuvre politique méprisable, le gouvernement a violé une de ses propres lois, récemment votée en mai 2004 : la loi relative au dialogue social, dont voici un cours extrait : «Le gouvernement prend l'engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. [...] Il saisira officiellement les partenaires sociaux, avant l'élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du travail, afin de savoir s'ils souhaitent engager un processus de négociation sur le sujet évoqué par le gouvernement.»
Qualificatifs infondés
Monsieur, je ne suis pas non plus certain que ces jeunes qui battent les pavés pour ne pas se retrouver sans domicile un jour et avoir à dormir sur ces même pavés, je ne suis pas sûr qu'ils apprécient que vous les traitiez de sots et en «déclin intellectuel». Monsieur, vous faites une injure à la France avec ces qualificatifs infondés. Le problème est tout autre : c'est de la valorisation des connaissances acquises qu'il s'agit. En bon journaliste, vous auriez dû le noter, simplement en lisant la presse nationale. Votre commentaire sur ce point est tout simplement illégitime ou méfait d'ignorance.
Enfin, Monsieur, votre verve ne servira pas à briser une tradition française que vous soulignez avec un humour noir déplaisant : «Le Français a besoin de comprendre, de savoir où il est avant d'agir.» Oui, Monsieur, nous cultivons la réflexion pour ne pas subir les dérives d'un marché anglo-saxon, que vous semblez affectionner, vide de tout souci de l'autre. Nous réfléchissons pour assurer à nos enfants des moments de vie et non pas de survie sous le joug d'un marché destructeur des liens sociaux et de l'environnement.
Monsieur, vous êtes stagiaire à l'hebdomadaire économique Bref Rhônes-Alpes, hebdomadaire économique destiné au patronat. «La rédaction centrale leur donne les moyens de pousser, sans cesse, leur souci de perfection et les invite à exercer leur libre arbitre, pour une information pertinente, apportée avec un souci permanent d'honnêteté et de justesse dans le traitement de l'information.» Ceci est la présentation de l'hebdomadaire pour lequel vous travaillez actuellement. Monsieur, je serais curieux de savoir comment réagirait l'entreprise qui vous emploie, vu toutes les erreurs de jugement que vous avez portées sur la société française dans votre production que je ne qualifierai pas de journalistique, j'ose espérer que vous ne la considériez pas comme telle.
À votre manière, je terminerai en disant ceci : il faut donc souhaiter une démission, le peuple français la réclame.
Lebon Thomas
_ Étudiant français au Québec, Réponse à l'article de Jean-François Cloutier, paru dans le journal Le Devoir du 29 mars 2006
Contestation en France
Trois millions de personnes battant les pavés, ça doit vouloir dire quelque chose!
Par Thomas Lebon
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