Les chercheurs d’Aix-Marseille ont étudié 26 patients traités par l’hydroxychloroquine et 16 patients contrôles, qui recevaient uniquement les soins usuels. Leur critère principal de jugement de l’efficacité de l’hydroxychloroquine était la suppression du virus sur des prélèvements biologiques (prélèvement au niveau du nasopharynx).
Les résultats suggèrent que les patients traités avaient plus de chance d’avoir une suppression du virus comparativement aux patients contrôles. Les chercheurs ont également évalué l’effet de l’ajout d’un antibiotique à l’hydroxychloroquine, connu sous le nom d’azithromycine, aux patients qui présentaient un risque de surinfection pulmonaire d’origine bactérienne. Ils ont rapporté que l’ajout de ce traitement augmentait les chances de suppression du virus.
En tant que chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, je m’intéresse à l’évaluation de l’efficacité et de l’innocuité de traitements de maladies chroniques comme le diabète ainsi que du cannabis utilisé à des fins médicales. J’utilise à cet effet des méthodes épidémiologiques et statistiques avancées pour étudier ces questions de recherches sur de larges cohortes de patients.
Voici pourquoi, selon mon expertise, je doute de la validité scientifique des résultats de l’étude.
Cinq points douteux 1) La méthodologie de référence pour établir l’efficacité et la sécurité des traitements n’a pas été utilisée dans l’étude
Les essais cliniques randomisés, des essais contrôlés aléatoires, constituent la méthodologie de référence pour établir de façon plus rigoureuse l’efficacité et la sécurité des médicaments. Des études non randomisées peuvent être de très bonne qualité, mais le niveau de confiance aux résultats de telles études bien conduites est inférieur à celle des études randomisées bien conduites. Or, l’étude non randomisée du professeur Raoult présente des limites évitables.
2) Le choix du groupe de comparaison (groupe contrôle), qui permet d’évaluer l’effet « réel » de l’hydroxychloroquine n’est pas adéquat
Selon les principes de base des études avec groupe contrôle, les patients traités et les contrôles sont inclus dans l’étude sur la base des mêmes critères d’inclusion (les critères d’inclusion sont des caractéristiques minimales similaires que doivent présenter les patients traités et les contrôles).
Par exemple, ils doivent tous être qualifiés pour recevoir l’hydroxychloroquine. Ce principe de base n’est pas respecté. En effet, le groupe contrôle dans cette étude a été constitué de trois groupes de patients très différents à plusieurs égards de ceux qui ont été traités par l’hydroxychloroquine. Il s’agit : 1) de patients ayant refusé de participer à l’étude, 2) de patients qui n’étaient pas qualifiés pour recevoir l’hydroxychloroquine, incluant ceux pour qui le médicament était contre-indiqué, et 3) de patients traités dans d’autres hôpitaux de la France que Marseille.
D’abord le choix d’inclure des patients qui ont refusé de participer à l’étude comme contrôles violerait les principes éthiques qui guident la conduite des études cliniques. En outre, ces patients, du point de vue clinique, biologique ou d’autres caractéristiques (âge par exemple), peuvent être différents de ceux qui ont accepté de participer à l’étude, tout comme leur réponse au traitement. La considération de patients qui ne sont pas qualifiés pour recevoir de l’hydroxychloroquine comme contrôles est tout aussi problématique, car ces patients ne satisfont pas au principe de similarité avec le groupe traité.
3) Il y a une grande hétérogénéité des patients inclus dans l’étude
En effet, les chercheurs ont inclus à la fois des cas asymptomatiques, des cas ayant des symptômes modérés et des cas sévères. On peut s’attendre à ce que la réponse à l’hydroxychloroquine soit différente en fonction du degré de sévérité de la maladie. Un groupe plus homogène, constitué par exemple de cas sévères uniquement, aurait permis de minimiser ce problème.
4) Le nombre de patients inclus est très faible
Les résultats principaux portent sur 20 patients traités avec de l’hydroxychloroquine et 16 patients non traités. Cela ne permet pas de capter toute la variabilité qui peut exister au sein de la population des malades de la COVID-19. En outre, seulement six patients ont bénéficié du traitement par l’antibiotique azithromycine.
5) Des données inquiétantes dans le groupe hydroxychloroquine
Parmi les 26 patients traités par l’hydroxychloroquine, le traitement à dû être arrêté chez trois patients dont l’état nécessitait des soins intensifs et un autre patient est décédé. Fait très important à noter, aucun de ces évènements n’a été observé dans le groupe contrôle, laissant entrevoir la possibilité d’effets indésirables graves liés à l’hydroxychloroquine chez les patients COVID-19 (c’est une hypothèse à élucider).
En attendant des études plus rigoureuses L’étude sur laquelle se fondent de grands espoirs ne rencontre pas, à mon point de vue, les standards minimums de rigueur méthodologique requise. La recommandation des auteurs d’utiliser ce traitement de façon massive n’est donc pas à considérer au stade actuel.
Il faut noter, par ailleurs, qu’une étude randomisée conduite en Chine sur 30 patients a conclu que l’utilisation de la chloroquine n’avait pas une efficacité supérieure à celle du traitement conventionnel offert aux patients dans le groupe contrôle.
Malgré l’urgence de la situation, des études plus rigoureuses sont nécessaires pour conclure à l’efficacité et à l’innocuité de la chloroquine. [Plusieurs sont en cours partout dans le monde.] La suite nous dira si ce médicament fait réellement une différence pour les patients atteints de complications dues à la COVID-19.
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