Le Devoir de samedi et dimanche 17 et 18 mars rapporte les propos sensationnels de [Tony Blair comparant le Québec et l'Écosse->5281], s'opposant à leur indépendance comme s'il s'agissait d'une calamité.
Ces comparaisons, qui ignorent les contextes, n'ont aucune valeur pour plusieurs raisons:
Le Union Act de 1707 a été arbitrairement imposé par Londres pour inféoder et effacer de la carte tous les peuples celtiques de Grande Bretagne: Écossais, Irlandais et Gallois. Ces peuples voués à la fossilisation ont survécu à cause de conditions complexes dans le temps et l'espace, notamment la géographie, l'histoire de l'Angleterre, aux prises avec des guerres continentales et coloniales sur toute la planète et obligée de disperser ses forces.
N'oubliez pas que la guerre de Sept ans, la déportation des Acadiens, l'invasion de la Nouvelle France suivie des guerres entre Anglais et Amérindiens et ensuite de la guerre d'indépendance des États Unis, surviendront à peine cinq décennies plus tard. En mobilisant la majorité des effectifs militaires de la Grande Bretagne pour faire face à ces guerres, sans oublier les autres en Europe, Afrique et aux Indes, les Irlandais, Écossais et Gallois y trouveront un répit dans l'espace et le temps, qui leur permettra de refaire leurs forces. Il leur aura fallu plus de deux siècles pour se réorganiser et se préparer de nouveau à accéder au statut reconnu d'État.
Le Québec est en Amérique du nord, et son histoire est autre chose. Le "déménagement" des effectifs britanniques, militaires, démographiques, industriels et commerciaux, des basses terres du Saint Laurent au Québec, vers les basses terres des grands Lacs, centre de gravité de l'Ontario actuel, s'est effectué par nécessité et d'une manière continue, en plusieurs étapes, notamment:
1. Depuis la construction des canaux entre 1825 et l'ouverture du pont Victoria en 1860.
2. Depuis l'ouverture du pont Victoria en 1860 jusqu'à l'ouverture de la Voie maritime en 1960. Le mouvement s'est accentué, de sorte que Britanniques et Loyalistes ont littérament vidé l'Estrie et les autres régions rurales du Québec.
3. Depuis l'ouverture de la Voie maritime en 1960 jusqu'à aujourd'hui, avec la construction des autoroutes. Avec le développement accentué de l'Ontario méridional, les entreprises du Canada anglais installées à Montréal se sont déplacées vers les basses terres des grands Lacs, une région plus stratégique.
Le mouvement migratoire des Britanniques, leurs populations et entreprises, s'est poursuivi sans arrêt avec le développement initial des canaux et chemins de fer, qui ont permis la fondation de Toronto et Ottawa, au fur et à mesure que les communications permettaient d'accéder plus facilement de l'océan Atlantique vers les grands Lacs, là où l'oligarchie anglo-canadienne cherche à établir son hégémonie contre les oligarchies américaines depuis l'époque de la guerre d'indépendance des États Unis.
Ces mouvements migratoires ont dégagé peu à peu le Québec de la présence directe des Britanniques, qui préféraient les basses terres des grands Lacs aux basses terres du Saint Laurent, pour d'évidentes raisons climatiques et stratégiques. Les basses terres du Saint Laurent n'offrent qu'une seule récolte par année alors que les basses terres des grands Lacs en offrent deux et même trois dans leur partie la plus méridionale. De plus, compte tenu de leur importance stratégique comme carrefour naturel de communications entre le Saint Laurent et l'océan Antlantique, il était impératif d'investir cette région naturelles, pour l'occuper, la développer et la retenir sous giron britannique, ou anglo-canadien.
En stratégie d'État, comme en stratégie militaire, les basses terres ont été et demeurent les seules régions dont l'importance ne varie pas d'une génération à l'autre.
C'est dans cette perspective qu'il faut suivre dans le Saint Laurent la progression continue des colons vers le statut de peuple, puis de peuple vers le statut d'une nation maintenant reconnue. La nation québécoise est dotée des assises de son propre État, reconnu par la Loi 99.
Ce n'est pas le résultat de la chance ni du hasard. Les éléments favorables à ce revirement majeur étaient en place dès le soir de la soi-disant fatidique bataille des plaines d'Abraham le 13 septembre 1759.
Contrairement aux opinions exprimées par certains historiens, le peuple de colons de Nouvelle France se retrouvait certes seul, mais en position de force, aux lendemains de la capitulation de Québec le 13 septembre 1759, ordonnée avant que la bataille ne soit terminée. Cette bataille n'a jamais été perdue, ni par la France et encore moins par les colons de Nouvelle France, devenus les Habitants, après plus de 150 ans d'investissements dans le défrichement, le développement et la mise en valeur d'un territoire qui compte parmi les plus durs de toute la terre, tant par son climat que la nature des sols post-glaciaires, rocailleux, sablonneux et argileux, difficiles à mettre en valeur. En plus d'un travail ardu à l'extrême, les colons devaient pourvoir à la défense du territoire par leurs participations continuelles aux guerres et aux batailles, en fournissant à l'armée française logistique et miliciens combattants.
À peine huit mois plus tard, le 18 avril 1760, les milices territoriales composées de colons gagneront la bataille de Sainte Foy. Ils ne pourront y donner suite. Mais les Anglais ont besoin d'eux et font des concessions qui prouvent que leur position n'est pas aussi forte qu'ils le prétendent.
Pendant la guerre d'indépendance des États Unis et jusqu'à la guerre de 1812, les Anglais auront besoin des colons de Nouvelle France pour les appuyer, tant sur le plan logistique que militaire. De nouveau, les colons bénéficieront de concessions politiques importantes.
Après la construction du canal Érié, qui reliait New York aux Grands Lacs à partir de 1825, les Anglais ont décidé de construire rapidement leurs propres canaux dans le Saint Laurent, afin de déménager leurs effectifs vers les basses terres des grands Lacs. Il leur faut occuper le territoire en force avant que les Américains ne s'y installent. De nouveau, ils ont besoin de l'appui logistique du Québec, industrialisé dans le but de constituer à partir de Montréal la tête de pont qui leur permettra de consolider leur emprise sur l'Ontario méridional et sur l'Ouest. La politique est affaire d'intérêts, de rapports de forces et d'effectivité, non d'expédients commodes.
Ce sont les canaux, chemins de fer et autoroutes qui ont incité les Anglais à déménager leurs entreprises du Québec vers l'Ontario méridional. Notre propre croissance continuelle et en force s'en est naturellement suivie.
La peur du "séparatisme" québécois pour justifier le "départ" des entreprises et capitaux anglo-canadiens vers l'Ontario méridional n'est qu'un expédient commode parmi tant d'autres.
En se débarrassant de la tutelle politique d'Ottawa et économique de Toronto, le Québec, par son indépendance, assure le contrôle de toutes ses richesses et ce n'est pas la même chose.
Quant à l'Écosse, l'Angleterre craint comme la peste que l'indépendance écossaise la prive des revenus du pétrole de la mer du Nord.
La politique est toujours affaire d'intérêts, de rapports de forces et d'effectivité, non de faveurs, sentiments ou affection. De deux choses l'une: Tony Blair est ignorant, malhonnête ou les deux à la fois.
René Marcel Sauvé, géographe et auteur de
Géopolitique et avenir du Québec.
Tony Blair, l'Écosse et le Québec
Tony Blair - ignorant ou malhonnête ?
Tribune libre - 2007
René Marcel Sauvé217 articles
J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en E...
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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
19 mars 2007M. Sauvé,
C'est toujours agréable de vous lire,et encore une fois votre analyse est juste et précise.
J'ai fait l'achat de votre livre Géopolitique et avenir du Québec que j'ai lu trois fois(vous me l'avez dédicacé),
À la lecture de l'article du Devoir je comprenais parfaitement que le mouvement séparatiste n'était en rien responsable du déplacement de la Métropole vers l'ouest,car comme vous le mentionné le processus était déjà enclenché bien avant la mise sur pied d'un mouvement séparatiste à l'échelle nationnale.
Je ne peux croire que M. Blair ait déclaré pareil chose sans connaissance de cause, pour moi ces propos rapportés font l'affaire des fédéralistes et bien sur de Gesca. Ca frise la connivence entre M. Blair lui même, les forces fédéralistes et les médias.
Quel paradoxe que celui des Higlander d'Ecosse qui veulent se séparer de l'Agleterre eux qui ont contribués à la défaite des Français sur les plaines d'Abraham et qui s'en suivi un assujettissement pour notre nation, peut-être nous monterons-t-ils le chemin à suivre,c'est à espérer.
Bravo pour votre bon travail et surtout persévéré nous en avons grand besoin.
Respectueusement
Simon Lavallée
splj@videotron.ca
Archives de Vigile Répondre
19 mars 2007Merci de nous faire profiter de vos lumières. Comme toujours, M. Blair simplifie ou déforme: ainsi à propos des armes de destruction massive en Irak. Au surplus, il ne faut pas oublier que cette participation à plat-ventre devant les Etats-Unis à l'invasion de l'Irak trahit l'insatiable appétit de l'Etat anglais pour la domination. La Grande-Bretagne, ce n'est rien d'autre qu'une façade pour ce complexe de supériorité auquel les Anglais sacrifient malheureusement les valeurs de liberté et leur propre dignité.