Il y a des nouvelles qui font plaisir à entendre et qui font bomber avec fierté quelque peu le torse. Eh! oui, le centre d’études économiques du prestigieux magazine britannique The Economist, a désigné la ville de Montréal, selon plusieurs critères, la deuxième meilleure ville au monde où il fait bon vivre. Dans l’impressionnante énumération des villes célébrissimes, elle est précédée par Toronto et devance de loin Paris, New York, Los Angeles, Tokyo, Rome. De quoi réjouir par les temps qui courent la mine basse de nombreux Montréalais aux prises ces jours-ci avec le chaotique déneigement des rues et le mauvais déglaçage des trottoirs des dernières semaines et sans compter les infrastructures routières qui s’écroulent au fil des mois. Quand on se compare, on se console parfois!
Il est vrai que Montréal n’est plus la même! Sur le vieil album Longue distance, notre Robert Charlebois national chantait: «Je reviendrai à Montréal dans un grand Boeing bleu de mer. J'ai besoin de revoir l'hiver et ses aurores boréales. J'ai besoin de sentir le froid (…) Je reviendrai à Montréal me marier avec l'hiver.» C’était en 1976! Il y a beaucoup de neige qui est tombée, mon cher Robert, depuis ce temps où nous voguions sous l’ère faste des Jeux Olympiques de l’incomparable et ineffable Jean Drapeau. Avec ce froid sibérien qui s’abat sur Montréal ces jours-ci, ce sont des paroles qui sont en plein dans le ton. Toutefois, je suis pas mal convaincu que les snowbirds québécois ne sont pas prêts de si tôt à revenir se marier avec l’hiver.
Depuis cette chanson quasi nostalgique de notre hiver rigoureux, près de quarante ans se sont écoulés et c’est vrai que cette ville aux cent clochers n’est plus la même. Elle s’est métamorphosée radicalement à un rythme accéléré, plus rapidement que le reste de la province. Plusieurs Québécois dit de souche se disent parfois étrangers dans cette mégapole nouvelle tendance et bien branchée, aux gratte-ciel élancés et aux visages multiethniques. À l’automne 2000, c’est l’émergence d’une nouvelle ville forte, grâce aux fusions forcées des nombreuses municipalités de l’île, dont Pierre Bourque s’était fait le promoteur acharné avec le slogan «Une île, une ville!» Et nous connaissons la suite des tiraillements interminables entre la ville-centre et ses 19 arrondissements dirigés par pas moins de soixantaine-cinq élus. Entre nous, la fusion n’est pas terminée pour autant, loin de là!
Avec les années, Montréal a certes changé, mais a surtout vieilli. Ça craque de partout! Les nids-de-poules foisonnent, les viaducs se fissurent, le système d’aqueduc coule de partout. On a beau colmater les brèches ici et là, ce ne sont que des cataplasmes. Ces jours derniers, plusieurs quartiers de la métropole y ont goûté à cause de bris majeurs dans le système d’aqueduc. Et ce n’est pas tout, vous en conviendrez, car il y a toujours les tergiversations rocambolesques autour du remplacement du pont Champlain qui a failli perdre son nom, du remplacement du gigantesque échangeur Turcot qui perdra certes de l’altitude, de l’interminable dossier de la rue Notre-Dame, de la disparition de l’autoroute Bonaventure, sans compter l’attente et le retard incompréhensibles des nouvelles voitures AZUR du fragile métro montréalais.
Il faut le reconnaître, le nouveau maire Denis Coderre, bien en selle depuis 2013, s’est engagé énergiquement dans la relance de cette ville malheureusement assombrie par les scandales et la corruption. Tout un chantier en perspective pour ce dernier qui étonne par son ascendant et ses initiatives ! Mais ce qui se métamorphose le plus, ce sont les Montréalais eux-mêmes. Les statistiques ne mentent pas, Montréal vieillit et sa population grisonne rapidement. Nous le devinions déjà, c’est sûr! Imaginez, les 65 ans et plus sont désormais numériquement plus nombreux que les jeunes de moins de 15 ans. Monsieur le maire, nous le redisons, il faut bien déglacer vos trottoirs!
Dans ce Québec des accommodements raisonnablement recherchés et encore à trouver, le français recule considérablement. Il s’agit de se promener, ici et là, dans plusieurs quartiers pour se rendre compte assez facilement que l’on parle de moins en moins la langue de Molière. Le visage de Montréal a littéralement changé avec l’arrivée massive d’immigrants au fil des ans. Il faut bien peupler ce Québec si nous voulons survivre! Dans l’ensemble de l’île, 54,2% seulement disent parler en français à la maison. C’est près de 5 personnes sur 10 qui ne parlent pas la langue nationale à la maison dans ce centre névralgique du Québec. Montréal, n’est-il pas le poumon de la province? Le dernier recensement démontre hors de tout doute que les Montréalais dont la langue maternelle est le français sont minoritaires sur l’île.
La question fondamentale de l’avenir du français se pose de plus en plus avec acuité dans ce Montréal aux multiples visages. L’érosion rapide du français est un fait indéniable et la tendance semble quasi irréversible. Comment contrer la diminution usuelle de notre langue nationale dans la métropole? Les solutions ne sont pas simples et n’apparaissent pas clairement dans les aurores boréales de la chanson de Robert Charlebois. Les pistes d’avenir seront de plus en plus difficiles à cerner judicieusement et décider quoi imposer sera extrêmement problématique. L’avenir du français dépendra toujours de notre volonté commune et de notre fierté de le parler, de le répandre.
Au fil des années, Montréal a vu sa population francophone traverser allégrement les ponts pour se retrouver dans un ailleurs plus conforme à leurs rêves. Que deviendra cette mégapole aux multiples visages au cours de la prochaine décennie? Cette ville a un potentiel exceptionnel. Le journaliste François Cardinal publiait à l’automne 2013, avec le concours de 80 collaborateurs, un magnifique livre intitulé « Relancer Montréal ». Il faut s’en inspirer fortement. Quel sera l’avenir de cette superbe ville où il fait bon vivre comme nulle part ailleurs sur la planète? J’aimerais rêver encore et toujours, chanter en paraphrasant Robert Charlebois: «Je reviendrai à Montréal dans un grand Boeing bleu de mer. J'ai besoin de revoir l'hiver et ses aurores boréales. J'ai besoin de sentir le froid (…) Je reviendrai à Montréal me marier avec mes racines, ma langue.»
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