Le contre-amiral (2S) Claude Gaucherand se penche pour RT France sur les racines du terrorisme islamiste et les moyens pour s’en préserver.
Chaque jour des experts du monde entier se penchent sur le terrorisme islamique ; c’est bien sûr la même chose en France, plus particulièrement touchée depuis un an. Le précédent algérien n’est pourtant pas souvent évoqué, pour ne pas dire jamais. La bataille d’Alger pour éradiquer, victorieusement, le mal dans cette ville en 1957 est un sujet idéologiquement tabou, et parmi, les personnes politiquement responsables, jamais publiquement évoqué sinon pour en condamner les méthodes. De façon paradoxale mais bien dans la tradition de notre nation, il est de bon ton d’avoir plus de considération pour les poseurs de bombes d’alors que pour leurs innocentes victimes ! Ce fut là la victoire politique des terroristes, leurs bombes avaient provoqué chez le fort, qu’ils combattaient sans considération pour les droits de l’homme, une réaction en proportion allant jusqu’à l’usage de la torture, réaction qui fut retournée contre les défenseurs des populations terrorisées car incompatible avec notre Etat de droit. Dans cette bataille, selon le côté considéré, il y avait deux poids et deux mesures pour condamner les atteintes aux droits de l’homme.
C’est ainsi que, peu à peu, une guerre militairement gagnée non seulement à Alger mais sur l’ensemble du territoire fut politiquement et moralement perdue, conclue par le massacre des harkis par les nouveaux maîtres du pays, ce qui ne dérangea aucune grande conscience, et le nettoyage ethnique de la population d’origine européenne. Soit un million de personnes nées et ayant vécu sur cette terre depuis plusieurs générations.
Il est de bon ton d’exprimer la crainte qu’inspirent les groupuscules dits d’extrême droite, considérés comme fomenteurs de guerre civile plutôt que celle qu’inspirent les terroristes
Bien sûr si le rapprochement entre le terrorisme algérien des années 50, qui avait aussi frappé la métropole, et le terrorisme islamique qui nous frappe aujourd’hui peut être fait, il doit toutefois l’être avec prudence. Pour le FLN il n’y avait aucune inspiration religieuse mais un but, l’indépendance de l’Algérie, l’Istiqlal, ce mot magique qui sonnait aux oreilles d’une population majoritaire qui ne bénéficiait pas de l’entière citoyenneté française.
Dans le cas de l’Etat islamique et d’Al-Qaïda si l’on veut bien admettre que l'objectif est la promotion d'une vision religieuse et radicale du monde et que les organisations qui l'utilisent le perçoivent comme un commandement divin, à l’ère de la mondialisation et des transmissions instantanées servant d’amplificateur à la publicité accordée à chaque exaction, il nous faut bien alors conclure qu’il n’y a pas de fin au mal qui se répand. La pandémie n’aurait donc aucune raison de s’arrêter, il n’y aurait alors aucune médecine pour un traitement curatif mais seulement pour un traitement de confort comme aiment à dire les médecins. Plus de police, plus de forces de sécurité, plus de mesures restrictives de liberté, plus de contrôles. A l’échelle planétaire, l’objectif est de faire vivre par six milliards d’individus la situation vécue par les citoyens d’Irlande du nord des années Sinn Fein ou par les Israéliens depuis des décennies. Le tout entrecoupé d’opérations punitives par des armées coalisées sur les centres contrôlés par les dites organisations islamiques sans pour autant parvenir à les écraser, que soit par manque de moyens ou de volonté politique .
La France face au terrorisme
Dans le cas de la France, il est clair que l’arsenal juridique et ont été prises mais qu’un certain nombre de mesures plus radicales concernant, à titre d’exemple, les zones dites de non droit dans les banlieues, les imams prosélytes du djihad, certaines écoles coraniques, l’expulsion du territoire ou la perte de la nationalité, ne sont toujours pas prises, faute de moyens en hommes sans doute, mais plus encore par manque d’une volonté politique affirmée autrement qu’en paroles, par des actes.
Curieusement dans les plus hautes instances gouvernementales il est de bon ton d’exprimer la crainte qu’inspirent les groupuscules dits d’extrême droite, considérés comme fomenteurs de guerre civile plutôt que celle qu’inspirent les terroristes. Le peuple français est requis de se faire à l’idée qu’il n’y a pas grand-chose qui puisse être fait pour les empêcher à coup sûr de nuire tandis que ce même peuple est soumis à des mesures dites sécuritaires toujours plus sévères et attentatoires aux libertés individuelles.
La France, membre permanent du Conseil de sécurité, n’a-t-elle pas, plus que tout autre Etat, l’obligation de respecter les règles internationales ?
A titre d’exemple au lendemain de , qualifié d’état d’exception, dont les mesures les plus sévères sont les assignations à résidence, la fermeture de certains lieux, l'interdiction de manifester et les perquisitions de jour et de nuit, dessaisissant ainsi la Justice de certaines de ses prérogatives. Chef des armées, François Hollande ne déclare-t-il pas sur un ton ferme :
« Rien ne nous fera céder dans notre volonté de lutter contre le terrorisme et nous allons encore renforcer nos actions en Syrie comme en Irak. Nous continuerons à frapper ceux qui nous attaquent sur notre propre sol, dans leurs repères. »
Ce qui faisait dire à Jean Pierre Chevènement : « Croit-on que c’est par des bombes que l’on règlera la question du terrorisme ? »
C’est justement là la bonne question à poser !
En effet, le mardi 19, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), près de 60 civils syriens ont péri dans des raids de la coalition internationale dans la province d'Alep, donnant l’opportunité au ministère syrien des Affaires étrangères d’accuser le gouvernement français d’avoir conduit une attaque aérienne sur le village d’Al Tukhar, ayant provoqué la mort de 85 civils. Ce qui est injuste car les avions français n’étaient à l’évidence pas les seuls représentants de la coalition conduite par les Etats Unis.
Pour Amnesty international, il pourrait s’agir du « bombardement [de la coalition] le plus coûteux en vie de civils » depuis le début de ses opérations anti-djihadistes en Syrie. Selon Rami Abdel Rahmane, directeur d’une organisation basée à Londres, les habitants du village d’Al-Toukhar, près du fief djihadiste de Minbej, fuyaient les combats quand les avions de la coalition ont effectué leurs frappes.
Effectivement ce n’est pas la réponse appropriée à apporter à la question, d’autant que les avions français n’ont aucun droit de survoler la Syrie, Etat légal reconnu par l’ONU, avec lequel notre pays n’entretient plus de relations diplomatiques depuis 2012. La France, membre permanent du Conseil de sécurité, n’a-t-elle pas, plus que tout autre Etat, l’obligation de respecter les règles internationales ?
L’acte de naissance du terrorisme islamiste c’est l’aide apportée par les Etats-Unis à la création de ce qui devait devenir Al-Qaida
Emergence du terrorisme islamiste
Si ce ne sont pas les bombes, de quels autres moyens dispose notre pays pour se préserver du mal terroriste islamiste dont il convient de rappeler qu’il frappe des hommes et des femmes sans discrimination d’âge, de sexe et de religion ? Non pour l’éradiquer mais à tout le moins le soigner afin d’en atténuer les effets.
Pour répondre à cette question, il convient de revenir sur les conditions de l’émergence de cette forme particulière d’un mal endémique en rappelant tout d’abord l’épisode du renversement du docteur Mossadegh le 19 août 1953 par un coup d’Etat fomenté en Iran par la CIA pour cause – déjà ! – de contrôle des gisement pétroliers, de ce qui sera effectué plus tard en Irak sous des formes plus violentes.
Mais l’acte de naissance du terrorisme islamiste, dont on peut rappeler qu’il est essentiellement sunnite, c’est l’aide apportée par les Etats-Unis à la création de ce qui devait devenir Al-Qaida dans la guerre conduite par les rebelles Afghans contre les forces soviétiques.
Depuis lors, les agressions militaires de grande envergure contre le monde arabe, conduites par Washington, se sont multipliées.
En 1991, première guerre contre l’Irak, pays en voie de développement, arabe et laïque. Une formidable coalition sous la conduite des Etats Unis, alliant les nations dites de l’Occident, l’Arabie saoudite et les autres principautés richissimes et sunnites du golfe arabo-persique. La France de François Mitterrand ne manque pas à l’appel.
L’Irak sera ramené à l’âge de pierre, proclame James Baker en juin de la même année. L’âge de pierre pour le pays héritier d’une des plus anciennes civilisations. « 500 000 enfants irakiens morts ? Le prix à payer », déclare Madeleine Albright en 1995.
2002 : L’OTAN sous la conduite des Etats Unis fonce sur l’Afghanistan pour une guerre de dix ans et plus. La France de Jacques Chirac ne s’y presse pas mais, un peu plus tard, si, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. L’OTAN s’y cassera le nez.
2003 : la deuxième guerre d’Irak avec les « démocraties » rassemblées sous la bannière étoilée pour mettre enfin l’Irak à l’heure du paradis occidental et démocratique. La France de Chirac et de Villepin, refuse de s’y rendre. Le monde, celui des pays du tiers et des non alignés dit son admiration, Le mensonge des armes de destruction massive (ADM) propagé par Washington et Londres est dénoncé.
2010 : Nicolas Sarkozy Président, Londres et Paris s’unissent pour semer le chaos en Libye et faire assassiner dans des conditions pornographiques le président Kadhafi. Belle opération militaire sous-traitée par Washington à ses vassaux auxquels il apporte le soutien logistique comme pourvoyeur d’armes et de munitions. Mais cela ne suffit pas. Un autre chaos est en préparation.
2012 : Après Sarkozy va-t-en guerre voilà François Hollande et son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius dont l’obsession est la destitution d’un chef d’Etat légitime «qui n’a pas le droit de vivre» et la guerre à un Etat membre de l’ONU. La Syrie sombre à son tour dans le chaos, attaquée par Al-Qaida, l’Etat islamique et quelques autres entités baptisées opposition forcément démocratique, armés et soutenus par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie mais pas seulement. Guerre médiatique mensongère, diabolisation à outrance, rien n’y fait, l’armée syrienne se bat et résiste bientôt aidée par l’Iran, le Hezbollah chiite du Liban voisin et la Russie.
Une France laïque et au mode de vie radicalement différent de ce que prône le Coran, cela fait une cible toute désignée car particulièrement vulnérable
France : quelles mesures politiques pour s’en preserver ?
C’est le tableau d’un chaos organisé que nous avons là pour le Proche- et le Moyen-Orient, conforme à la stratégie d’une Amérique forte d’un dollar qu’elle contrôle et de forces armées à nulles autres comparables, d’une doctrine et d’une idéologie dominatrices. Al-Qaida, l’Etat Islamique, ce sont ses enfants nourris aux pétro-dollars du Qatar et de l’Arabie saoudite et armés par eux par Washington avec l’assistance de la Turquie du président Erdogan et, de façon moins lisible, par l’Etat d’Israël de monsieur Netanyahou.
Alors une France qui s’engage sur tous les fronts de l’atlantisme, un peuple français affaibli qui doute de ses élites et de ses dirigeants, une France où la deuxième religion est l’islam, une France laïque cependant et au mode de vie radicalement différent de ce que prône le Coran, cela fait une cible toute désignée car particulièrement vulnérable. L’islamisme radical ne s’est pas trompé d’objectif, d’autant que ce qui se passe dans notre pays a une résonnance planétaire sans proportion avec l’importance de sa population, qu’il s’agisse du tour de France cycliste ou d’un attentat spectaculaire.
La France qui s’est faite la complice de la stratégie du chaos chère à Washington, doit rompre avec ce passé récent de valet de l’empire
Face sombre de l’islam, c’est bien la stratégie du chaos qui l’a fait ressurgir au sein de ces peuples humiliés, combattus à coups de bombes, ramenés à l’âge de pierre, avec une économie ravagée et un développement forcément négatif, soumis pour plusieurs d’entre eux à une guerre de religion où les attentats ô combien meurtriers sont quotidiens et ne suscitent plus l’émotion dans le monde depuis longtemps.
Pour ces peuples il n’est plus d’autre référence que la religion et la jeunesse, y compris une part de celle qui vit sur le sol français, issue de l’immigration, s’y précipite avec toute la violence et le fanatisme – pour ne pas dire la haine – de gens qui n’ont aucune autre perspective, loin des promesses de la vraie vie. Cette jeunesse française a été habituée depuis quelques décennies à n’entendre pratiquement jamais faire l’éloge des qualités foncières de son peuple mais plutôt la dénonciation de ses défauts putatifs. Peuple présenté jour après jour dans les médias comme homophobe, raciste et xénophobe, antisémite et islamophobe, colonialiste et esclavagiste, portrait caricatural d’une France déstructurée dont on n’apprend plus l’histoire que de façon déformée. L’image, ainsi présentée, de la France ne donne pas envie de l’aimer. C’est sans doute aussi pourquoi les terroristes de France viennent de cette jeunesse issue de l’immigration.
Alors oui, l’islamisme et le terrorisme du même nom sont la réalité ressuscitée par le chaos. Nous n’avons d’autre choix que de le combattre fermement avec toutes les armes dont nous disposons pour ce faire et une volonté clairement affichée. Mais ce n’est là que le traitement de confort.
La France qui s’est faite depuis vingt ans la complice, même en Europe, que ce soit pour le dépècement de la Yougoslavie ou la guerre civile en Ukraine, de la stratégie du chaos chère à Washington, doit rompre de façon radicale et claire avec ce passé récent de valet de l’empire et retrouver la voie d’une politique arabe comme on la pensait au temps de De Gaulle, conforme à notre philosophie des relations internationales qui doit être d’ouverture, de respect des autres et en premier lieu de soi, qui cesse de fixer son regard à l’ouest pour le porter au sud et à l’est, jusqu’à l’Oural et à l’océan Pacifique.
C’est là sans doute pour la France la voie à suivre pour se préserver autant que faire se peut du terrorisme islamique en laissant à l’Amérique et à ses alliés la pleine responsabilité de leurs actes, tout en posant la question de savoir si en définitive, pour cette démocratie nord américaine donnée comme exemplaire, le terrorisme n’est pas part d’un mode de gouvernance mondiale.
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