Tartuffe à Albany

Ce qui est scandaleux, ce n'est pas le comportement sexuel de Spitzer, mais ses actes qui se situent à l'opposé de son discours

L'Affaire Eliot Spitzer


Le gouverneur de l'État de New York, Eliot Spitzer, aux prises avec des accusations le liant à un réseau de prostitution, a démissionné de son poste. Il ne faudrait surtout pas voir cet événement politique comme un scandale sexuel dans un pays obsédé par le puritanisme, qui a déjà vu la carrière de plusieurs de ses politiciens ébranlés par des histoires de moeurs.
Il est vrai que la politique américaine a connu son lot de scandales sexuels. On peut penser au sénateur du Colorado, Gary Hart, avec l'actrice de Miami Vice, Donna Rice, ou l'ex-président des États-Unis, Bill Clinton, avec sa stagiaire de 22 ans, Monica Lewinsky, pour ne nommer que ceux-là. Mais dans le cas d'Eliot Spitzer, on parle de transactions financières douteuses et de virements de comptes sur des sociétés fantômes pour payer les services d'un réseau de prostitution, ce qui est d'autant plus paradoxal de la part de celui qui s'était autoproclamé le shérif de Wall Street.
Eliot Spitzer n'avait à la bouche que les mots intégrité, probité et honnêteté. Il n'était que vertu, moralité et droiture. Véritable Eliot Ness de la politique américaine, il se voulait chef de file de la lutte contre la corruption et du combat pour l'assainissement des moeurs politiques. Il s'était notamment rendu célèbre en trainant en justice des responsables de deux réseaux de prostitution ainsi que des banques d'affaires et des grands noms de Wall Street accusés d'irrégularités.
Les New-Yorkais viennent de se rendre compte que cette image était factice puisque ce parangon de vertu, ce donneur de leçons aux discours moralisateurs, faisait le contraire de ce qu'il préconisait pour ses citoyens. Ce que les Américains tiennent pour scandale, ce n'est pas le comportement sexuel du gouverneur de New York, mais ses actes qui se situent à l'opposé de son discours officiel et qui lui font perdre toute crédibilité.
Le modèle achevé de l'hypocrite
Tartuffe, de Molière, reste le modèle achevé de l'hypocrite, celui dont les actes ne correspondent pas à sa pensée. Plus de trois siècles plus tard, la tartufferie a toujours ses adeptes, notamment en politique, comme le prouve ce qu'on appelle désormais l'"affaire Spitzer".
L'affaire Spitzer illustre la duplicité des donneurs de leçons de vertu pris en flagrante contradiction avec ce qu'ils prônent. Les vertus publiques du gouverneur de New York étaient en complète contradiction avec ses vices privés.
Ce n'est pas que la liberté de moeurs pose problème, même pour un politicien américain. Chacun, gouverneur ou pas, est libre de conduire sa vie privée comme il l'entend. En revanche, ce qui crée le malaise, c'est la duplicité. Ce sont les faux-semblants de donneurs de leçons qui s'érigent en défenseurs zélés d'une morale qu'ils ne pratiquent pas. Eliot Spitzer a ruiné sa crédibilité en donnant le sentiment d'un double langage - "faites ce que je dis, mais pas ce que je fais" - et en se montrant incapable d'accorder ses actes aux règles d'éthique dont il se réclamait.
Au-delà du drame familial au sein de la famille Spitzer, c'est la démocratie qui en souffre. L'affaire Spitzer ne fait que renforcer la désaffection des citoyens pour la chose publique, le cynisme ambiant et le discrédit qui frappe la classe politique.
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Bernier Arcand, Philippe
L'auteur est doctorant en sociologie à l'UQAM.
Illustration(s) :
Photo Brendan McDermid, Reuters
Ce que les Américains tiennent pour scandale, ce n'est pas le comportement sexuel du gouverneur de New York, Eliot Spitzer (accompagné de sa femme), mais ses actes qui se situent à l'opposé de son discours officiel et qui lui font perdre toute crédibilité.


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