Le mois de mars est un mois difficile dans notre climat. La déprime n'est jamais très loin car l'hiver a usé tout ce que nous avions de réserve de bonne humeur et de patience et le printemps se fait prier, comme chaque année, refusant de nous accorder l'orgie de soleil à laquelle nous rêvons. En mars, nous avons souvent les deux genoux par terre espérant que rien ne nous tombera plus sur la tête et que nous allons bientôt mettre les vêtements d'hiver au rancart et retrouver ce goût de liberté que le printemps va nous ramener enfin.
En mars, nous n'entendons plus à rire, nous avons la mèche courte et ce n'est pas le meilleur moment pour nous marcher sur les pieds.
C'est ce qu'auraient dû savoir les trois ténors qui, en ces deux jours de mars, nous ont écorché les oreilles et n'ont pas hésité à nous traiter comme des valises. Je me suis tapé trois discours qu'on disait importants pour notre avenir, celui d'Henri-Paul Rousseau devant la Chambre de commerce métropolitaine, celui de Stephen Harper à Brampton en Ontario, et celui de Jean Charest à l'Assemblée nationale du Québec. J'en ai déduit que j'avais perdu mon temps et qu'on nous prenait pour des valises. Constat très désagréable, ma foi.
Henri-Paul Rousseau. Quarante-huit minutes bien comptées de formules ronflantes où les mots économie, tempête, monde financier revenaient sans cesse et où le ton professoral ne laissait aucun espace pour le questionnement. Même si vous n'aviez rien compris, il était de bon ton de faire semblant au risque de passer pour un ignare aux yeux de la noble assemblée pratiquement composée exclusivement d'hommes d'affaires avertis... ou intéressés. Pas question de vous distinguer par un «je n'ai rien compris» qui aurait été comme une insulte au prof Rousseau, qui n'avait visiblement pas de temps à perdre. Cet homme si occupé a daigné accorder 48 minutes d'explications à un auditoire trié sur le volet, vous n'allez quand même pas lui demander de faire simple en plus.
Tout au long de son exposé, je n'ai cessé de me dire que cet homme-là aurait dû faire de la politique. Un «enfirouapeur» de la plus belle espèce qui, avec une assurance à toute épreuve, nous a fait la démonstration que la Caisse de dépôt va bien, que la crise achève et qu'il ne voit pas de quoi on se plaindrait. Plus méprisant que ça, tu meurs.
Le même bel optimisme habitait Stephen Harper à Brampton. On savait déjà que le Canada était le «plus meilleur pays au monde», on sait maintenant que ses banques sont aussi les «plus meilleures banques du monde». Qu'a dit Stephen Harper pour nous rassurer? Il a réaffirmé qu'il sait ce qu'il fait et que si l'opposition ne lui mettait pas toujours les bâtons dans les roues, il pourrait en faire encore beaucoup plus. Il a parlé d'espoir et a répété que nous ne devrions pas trop nous en faire car «tout va très bien, madame la marquise». Plus jovialiste que ça, tu meurs.
Quant à Jean Charest, il a ressorti toutes ses vieilles fiches des années passées pour les resservir à la sauce du jour dans son discours inaugural. Cet homme-là n'aura jamais fini de nous étonner. Il a visiblement des hauts et des bas que l'on ne sait pas à quoi attribuer. En ce moment, un observateur averti affirmerait qu'il est dans un bas. Il faudrait que Michou lui mette un peu de vitamines dans sa soupane.
L'homme aux deux mains sur le volant ne sait visiblement pas où aller. Alors que tout un peuple est là, en attente d'une direction, d'un objectif, d'une idée nouvelle à se mettre sous la dent, il ressert le même pâté chinois sans aucune imagination. Alors qu'on attend de lui une lueur de mobilisation, un espoir vrai qui nous donne envie de mettre l'épaule à la roue, il joue le petit comptable sans envergure et sans imagination.
Même quand il élève la voix, quand il hausse le ton, quand il mord dans ses mots pour rendre une formule plus crédible, nous n'y croyons plus.
Le discours inaugural doit servir à annoncer les grands projets législatifs, les entreprises du gouvernement, les transformations sociales envisagées, pas la liste d'épicerie des dernières années. Plus terne que ça, tu meurs.
On a les politiciens qu'on mérite, disait ma grand-mère. On a les dirigeants qu'on mérite aussi. Ce qui reviendrait à dire que nous n'avons que nous à blâmer pour la pauvre qualité de ceux qui nous dirigent. C'est dur à prendre en mars, un mois où on a plus tendance à penser que tout est de la faute des autres. Peut-être qu'un jour nous en aurons assez d'être des valises...
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