SNC-Lavalin voulait utiliser l’ancien premier ministre Philippe Couillard, à l’époque où il était ministre de la Santé, dans le cadre de son opération charme pour corrompre l’un des fils du dictateur libyen Mouammar Kadhafi.
La firme avait prévu donner une formation de six semaines à Saadi Kadhafi lors d’un de ses voyages à Montréal, révèlent un témoignage et des documents gardés jusqu’ici secrets.
Ce témoignage, c’est celui de Gilles Laramée, ex-vice-président finances de SNC. Il a été entendu à la fin 2018 dans le cadre de l’enquête préliminaire de la firme qui a plaidé coupable de fraude hier, mais il était frappé d’une ordonnance de non-publication.
Des documents déposés dans le cadre du témoignage de Laramée montrent qu’il était prévu que M. Couillard donne une présentation privée d’une heure à Saadi Kadhafi en avril 2008.
La rencontre devait porter sur le système de santé québécois. À cette époque, M. Couillard était ministre de la Santé au sein du gouvernement libéral de Jean Charest.
Pour gagner des projets
Gilles Laramée a donné quelques détails sur ce programme de formation inhabituel, baptisé « programme virtuel d’Université SNC-Lavalin ».
Selon lui, l’objectif était de «présenter l’expertise» de SNC-Lavalin au fils du dictateur libyen. Il devait alors recevoir gratuitement des enseignements sur «le monde des affaires, la gestion, la finance et l’économie».
M. Laramée a parlé en cour de ce programme comme «une brochure marketing dans l’espoir de gagner des projets». Il a admis en avoir approuvé le contenu.
L’idée de cette formation aurait vu le jour lors d’un souper avec Jacques Lamarre, l’ex-patron de SNC-Lavalin, au Club Mont-Royal, un établissement privé pour gens d’affaires à Montréal.
L’ex-v.-p. finances de SNC n’a toutefois pas précisé en cour si M. Couillard a bel et bien donné la formation. Invité à émettre ses commentaires hier, M. Couillard n’a pas donné suite.
L’ex-DG du PLQ aussi
La firme d’ingénierie et de construction avait également prévu que l’ex-DG du Parti libéral Joël Gauthier rencontre Saadi Kadhafi, pendant une demi-journée. Gauthier, qui était alors PDG de la défunte Agence métropolitaine de transport (AMT), devait faire une présentation sur le métro.
La Caisse de dépôt et placement du Québec, la Banque Royale du Canada et même Exportation et développement Canada (EDC), un organisme fédéral, devaient aussi former le fils du dictateur, selon les documents.
Un employé d’EDC devait ironiquement enseigner à Saadi Kadhafi les «responsabilités sociales corporatives». Il n’a pas été précisé si ces formations ont bel et bien eu lieu.
Le voyage de Saadi Kadhafi à Montréal, en 2008, a finalement coûté 2 millions $ à SNC-Lavalin. Des dépenses somptueuses de restaurants, de vêtements, d’hôtels et d’escortes ont en effet dû être acquittées par l’entreprise.
Comment Gilles Laramée a «vendu» à d’autres cadres l’idée de former Saadi Kadhafi
«J’aimerais demander votre collaboration pour un programme spécial [...] pour Saadi Kadhafi, un ingénieur civil qui est désireux d’apprendre autant qu’il le peut. Cette initiative est une opportunité exceptionnelle d’aider quelqu’un dont on connaît bien le pays, et où nous voulons continuer de contribuer au développement de son infrastructure et de son économie en général.»
– Extrait d’un courriel daté du 18 mars 2008 et déposé en cour
Rien de trop beau pour corrompre le régime libyen
Des escortes
La Couronne a déposé en preuve des factures des escortes qui ont été payées par SNC-Lavalin pour le fils de Kadhafi. On voit que le fleuron québécois de l’ingénierie a notamment payé 3100 $ à l’agence Carman Fox and Friends pour la soirée du 6 mars 2008.
Caviar et champagne dans la loge
À l’occasion d’un spectacle du rappeur 50 Cent, SNC-Lavalin a servi un festin dans la suite d’un hôtel à Toronto. Au menu, entre autres :
Des restos hors de prix
Saadi Kadhafi a été amené dans les restaurants les plus chers à Montréal. La Couronne a notamment déposé ces deux factures : l’une de 7140 $ à la Queue de Cheval, l’autre de 3956 $ au Buonanotte.
Œuvres d’art entreposées
On savait qu’il y avait eu une exposition des œuvres d’art de Saif Kadhafi, un autre des fils de Mouammar Kadhafi, à Montréal en 2005, mais on a appris lors de l’enquête préliminaire que SNC avait même entreposé les œuvres à grands frais après l’exposition parce que personne n’en voulait ailleurs dans le monde.