Il n’était pas question que Nour* travaille, voie ses amis ou porte des vêtements moulants. Et encore moins qu’elle vapote. Son frère Rayan* l’avait d’ailleurs déjà violemment frappée au visage pour cette raison. C’est dans ce contexte de « domination familiale » que l’homme de 21 ans aurait enlevé sa sœur à son travail, ce qui a mené à une alerte AMBER mardi.
C’est le troublant portrait brossé par la Couronne jeudi matin lors de l’enquête sur remise en liberté de Rayan, un Montréalais de 21 ans, accusé notamment d’enlèvement, de séquestration et de menaces de mort. On ne peut révéler son véritable nom, afin de protéger l’identité de la victime. La juge Joëlle Roy doit déterminer ce vendredi après-midi s’il pourra demeurer libre d’ici son procès.
Selon la preuve de la poursuite, Nour a été enlevée par ses deux frères et un autre homme lundi soir, alors qu’elle travaillait dans un restaurant de Kirkland, dans l’ouest de l’île de Montréal. Les hommes ont agrippé l’adolescente, ont brisé son téléphone et ses lunettes et l’ont frappée à de nombreuses reprises. Ils l’ont ensuite fait monter de force dans un véhicule. Une scène captée par des caméras de surveillance.
À bord du véhicule, son frère Rayan lui a passé un bras sur le cou, lui a frappé les jambes et lui a retiré bagues et souliers. « Si tu vas à la police, j’ai plus d’une façon de mettre une balle dans ta tête », lance-t-il à sa sœur de 16 ans. Une menace sérieuse, selon la Couronne.
Les ravisseurs se sont ensuite rendus au domicile de la sœur du troisième complice pour éviter les forces de l’ordre. Rayan pensait alors que les policiers cesseraient les recherches dans « quelques jours ». L’accusé a finalement été arrêté à un autre endroit vers 4 h du matin grâce à la géolocalisation de son téléphone. À la suite de l’alerte AMBER, vers 6 h, les autres accusés se sont ensuite rendus à la police avec l’adolescente.
L’accusé a commis des crimes « particulièrement graves » dans un contexte de « domination », a plaidé jeudi le procureur de la Couronne, Me Bruno Ménard. Il s’agit d’évènements « choquants », a-t-il insisté, en réclamant l’incarcération de l’accusé jusqu’à la fin du processus judiciaire. Le fardeau repose par ailleurs sur la poursuite à cette étape.
Ses frères « contrôlaient » la vie de l’adolescente depuis un certain temps avec l’autorisation de leur mère.
[Nour] doit donner son argent à [l’accusé]. Elle ne peut avoir d’amis. Elle ne peut vapoter. Elle ne peut s’habiller de façon à laisser entrevoir ses formes. Ses frères contrôlent ses textos et ont coupé le WiFi de la résidence, ce qui lui a causé des échecs scolaires.
Me Bruno Ménard, procureur de la Couronne
Récemment, l’accusé s’était d’ailleurs présenté au travail de sa sœur pour aviser les employés qu’elle allait démissionner. Rayan était furieux que sa sœur puisse gagner de l’argent pour vapoter, notamment. Sa mère la traite également de « pute » et menace de la « faire examiner pour voir si elle est encore vierge », a souligné Me Ménard.
Le frère « ne comprend pas »
Alors que Nour habitait chez son père depuis la fin des classes, les deux frères se croyaient dans leur droit le plus strict de « ramener » leur sœur chez leur mère. Ils l’avaient d’ailleurs déjà fait après que Nour était partie à la suite d’un conflit avec sa mère pendant le ramadan. « [Le frère de 22 ans] ne comprend pas qu’il puisse être accusé de l’enlèvement de sa sœur. Il justifie ses gestes parce que sa sœur n’écoutait pas. Sa sœur est mineure, il est majeur », a expliqué Me Ménard.
Selon le procureur, cette vision démontre le « sentiment d’impunité » de l’accusé. « Évidemment, on a fait ça parce qu’elle n’écoutait pas. C’est un enlèvement fait pour des fins de séquestration dans un contexte d’autorité », a plaidé Me Ménard.
Notons qu’au début du mois de juillet, les policiers étaient intervenus à la suite d’un appel au 911. Or, l’adolescente avait refusé de porter plainte pour que ses frères ne se retrouvent pas en prison.
« Proportion disproportionnée », dit la défense
L’avocat de la défense, Me Bruno Bouthillier, a plutôt décrit l’affaire comme un évènement « malheureux » qui a pris une « proportion disproportionnée » en raison de l’alerte AMBER. « Quand on regarde l’ensemble de la preuve, ils la prenaient et la ramenaient à la maison. Clairement, ils la retournent à la maison chez la mère », a-t-il fait valoir.
Aux yeux de la défense, l’accusé n’est pas l’homme dépeint par la poursuite. « Vous avez un jeune homme de 21 ans qui n’a aucun antécédent et qui a des projets de carrière », a plaidé Me Bouthillier. Le jeune homme s’apprête d’ailleurs à étudier à l’Université d’Ottawa en septembre, a insisté la défense.
« Je suis vraiment un bon, bon frère », s’est défendu l’accusé, lors de son bref témoignage à la cour. L’homme de 21 ans a assuré qu’il avait l’intention de respecter les conditions de remise en liberté et qu’il ne tenterait pas d’entrer en contact avec sa sœur. « Non, c’est sûr que non », a-t-il soutenu.
Rappelons qu’un autre frère de la présumée victime, celui-là âgé de 22 ans, ainsi qu’un troisième individu sont également accusés dans cette affaire.
* Noms fictifs pour protéger l’identité de la victime