La candidate socialiste à la présidence française, Ségolène Royal, a apporté hier un soutien inattendu et explicite à la cause souverainiste en parlant de «valeurs qui nous sont communes, c'est-à-dire la souveraineté et la liberté du Québec».
La déclaration a été faite à la sortie d'une rencontre avec le chef péquiste André Boisclair. Elle a été vertement condamnée tant à Ottawa que par le gouvernement Charest.
«On n'apprécie pas cette sortie, le gouvernement du Québec ne s'immisce pas dans la course à la présidence française», a commenté Monique Gagnon-Tremblay, ministre québécoise des Relations internationales.
À Ottawa, Stephen Harper a poliment invité Mme Royal à se mêler de ses affaires. «L'expérience enseigne qu'il est tout à fait inapproprié pour un leader étranger de se mêler des affaires démocratiques d'un autre pays», a dénoncé le premier ministre par voie de communiqué.
Le commentaire de Mme Royal tranchait avec la prudence traditionnelle manifestée en public par les responsables politiques français, y compris ceux qui passent pour favorables à la souveraineté. Elle l'a émis à l'issue d'un rendez-vous qui s'était rajouté in extremis au programme officiel d'André Boisclair en France et qui a duré moins de 20 minutes au siège du Parti socialiste, où la candidate à la présidence a répondu brièvement aux questions des journalistes québécois.
Mme Royal y est allée de quelques amabilités d'usage : «(Avec M. Boisclair) nous avons les mêmes valeurs et les mêmes objectifs... il existe une coopération de longue date entre le Québec et la région que je préside... Nous avons parlé d'éco-industries, domaine où le Québec est très en avance... Je serais très heureuse de m'y rendre et d'y rester plus longtemps... Les racines du Québec sont profondes en France en général, et en Poitou-Charentes en particulier...»
À la toute dernière question concernant ses «affinités avec la souveraineté», elle a eu cette réponse : «Elles (ces affinités) sont conformes aux valeurs qui nous sont communes, c'est-à-dire la souveraineté et la liberté du Québec. Le rayonnement du Québec et la place qu'il occupe dans le coeur des Français va dans ce sens.»
André Boisclair a commenté ces propos avec prudence : «Les Québécois pourront interpréter eux-mêmes les propos de Mme Royal. Il serait inconvenant que ce soit moi qui commence aujourd'hui à les interpréter. Ce que les gens voient depuis toujours, c'est que la France comprend bien les défis qui se posent au Québec et que la France en toute circonstance accompagnera le Québec... Mais c'est au Québec de décider de son avenir.»
En sortant de chez Mme Royal, M. Boisclair s'est rendu au bureau du premier ministre Dominique de Villepin pour un entretien qui a duré près de 45 minutes. «Les conversations que nous avons eues avaient un caractère privé, a-t-il dit. Mais je peux vous dire que j'ai bien senti que le gouvernement français a bien compris le message des souverainistes.»
Le chef de l'opposition à l'Assemblée nationale a entamé hier matin une visite d'une semaine en France particulièrement nourrie. Il doit aussi rencontrer le président du Sénat, Christian Poncelet, l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, les ministres de l'Éducation, des Affaires sociales et des Affaires étrangères. Entre autres. À quoi il faut ajouter les rendez-vous avec les deux candidats majeurs à la présidence : Mme Royal hier après-midi, et Nicolas Sarkozy, demain en fin de journée.
Sa première journée, hier, ne passera certes pas inaperçue.
Réactions à Québec et Ottawa
«Il y a un devoir de réserve et la plus élémentaire réserve aurait demandé que Mme Royal adopte la même attitude que le président Chirac il y a quelques années», a soutenu Monique Gagnon-Tremblay au sujet de la candidate socialiste à la présidence. Le président Chirac a maintes fois répété que la France n'interviendrait pas dans le débat québécois. «Ce qui se passe au Québec ne regarde que les Québécois. On invite Mme Royal à venir au Québec pour qu'elle puisse prendre elle-même le pouls de la population», a renchéri la ministre Gagnon-Tremblay.
Quelques heures plus tôt, le premier ministre Charest avait commenté avec beaucoup de prudence la sortie de Mme Royal. Au moment où il rencontrait la presse, il ne disposait que d'informations parcellaires. Abordant indirectement les propos de la candidate socialiste, il a souligné que «l'avenir du Québec c'est une chose que les Québécois décideront eux».
Plus tard son attaché de presse, Hugo d'Amour, convenait que les propos de Mme Royal «allaient assez loin», mais qu'il n'y aurait pas de protestation officielle de la part du gouvernement - pas de lettre au Parti socialiste ou de mise au point du délégué général du Québec à Paris, Wilfrid Licari.
Le chef de l'opposition libérale à Ottawa, Stéphane Dion, s'est lui aussi offusqué des propos de Mme Royal. «Ça nuit à sa crédibilité. Elle ne comprend pas, je pense. Et on ne s'ingère pas dans les affaires d'un pays ami et on ne souhaite pas le démantèlement d'un pays ami. Le Canada ne souhaite pas le démantèlement de la France. La France, certainement, ne souhaite pas le démantèlement du Canada», a soutenu le chef libéral qui entame, ce matin à Québec, une rencontre de deux jours avec son aile parlementaire. Selon lui, les propos de Ségolène Royal ne nuiront pas à la cause fédéraliste au Québec.
Avec Denis Lessard à Québec et Joël-Denis Bellavance à Ottawa.
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