Au-delà des enjeux économiques ou environnementaux, la diminution du nombre de raffineries québécoises après l’arrêt des activités de Shell à Montréal-Est a eu pour conséquence d’enterrer des données concernant les quantités de brut qui arrivent au Québec depuis le reste du Canada et des États-Unis.
Le Devoir a constaté que les informations diffusées par Ottawa au sujet des arrivages de pétrole de l’Ouest et de l’Est canadien, et du sud de la frontière sont, depuis janvier 2011, souvent couvertes de « x », résultat d’un traitement de confidentialité dont peuvent bénéficier les entreprises en vertu de la Loi sur la statistique.
Ce silence stratégique survient alors que les raffineurs, Suncor et Ultramar (Valero), n’hésitent pas à se servir du train pour consommer davantage de pétrole nord-américain, plus abordable que celui de l’étranger. Suncor, par exemple, a récemment indiqué dans ses documents financiers qu’elle a expédié à Montréal 36 000 barils de brut « des terres » au cours du deuxième trimestre, sans toutefois préciser s’il venait du Canada ou des États-Unis.
L’histoire se déroule dans un tableau (134-0001) que Statistique Canada intitule « Approvisionnement de pétrole brut et équivalent aux raffineries ». Jusqu’en décembre 2010, il montre que le Québec reçoit des arrivages de l’Est et rien de l’Ouest. Le mois suivant, le voile tombe sur les deux catégories, mais pas sur le « total des arrivages de brut domestique ». En décembre 2013, une autre catégorie se couvre du « x » : les importations américaines.
« Ce qu’on me dit, c’est que des ententes de confidentialité sont signées avec Statistique Canada sur la façon de rapporter les chiffres », affirme le vice-président de l’Association canadienne des carburants, Carol Montreuil.
« Entre joueurs, Valero [à Lévis] n’a pas à connaître la diète exacte de Suncor [à Montréal], pour savoir si l’entreprise a importé telle quantité de brut pour sa raffinerie ou si elle l’a exportée. Pour des raisons de compétitivité, les entreprises veulent maintenir le secret là-dessus », a ajouté M. Montreuil.
Malgré cela, le tableau chiffre quand même, au fil du temps, le total des arrivages de brut domestique. Or en décembre 2013, les arrivages de l’Est refont leur apparition et c’est le total global qui disparaît. « Le total des arrivages est confidentiel pour protéger les arrivages de l’Ouest qui sont également confidentiels, ce qui permet de publier les arrivages de l’est du Canada », a indiqué par courriel le personnel d’information de Statistique Canada.
Aucune donnée concernant les arrivages de pétrole en Ontario, où l’on trouve quatre raffineries, n’a fait l’objet d’une demande de confidentialité.
Bassin limité
La fermeture de la raffinerie de Shell, à Montréal-Est, a fait en sorte que le Québec s’est retrouvé avec deux installations seulement. À Pointe-aux-Trembles, celle de Suncor raffine 137 000 barils de brut par jour. À Lévis, Ultramar en traite 265 000.
« Probablement que pour certains chiffres c’est moins délicat, mais puisqu’il reste seulement deux raffineurs, ça devient problématique parce qu’un raffineur pourrait partir de ses propres chiffres et déterminer ceux de l’autre », a dit M. Montreuil.
Le tableau offre certains éclairages. À la ligne décrivant les quantités de « brut synthétique (léger) introduit » au Québec — défini comme le pétrole extrait des dépôts de sables bitumineux —, on apprend que les premiers arrivages ont eu lieu en septembre 2011 et que l’industrie en a alors reçu 118 300 mètres cubes, soit 745 000 barils. Le flot diminue en 2011, mais revient à la fin de 2012. En juin 2014, dernier mois disponible, le Québec en a reçu 412 000 barils.
Invité à dire si le synthétique raffiné à Montréal était nécessairement issu de l’Ouest canadien, le service des communications de Suncor, en Alberta, a répondu simplement que « c’est ce qu’on appellerait du brut des terres ».
Au cours des dernières années, les deux entreprises n’ont pas caché leur désir de recourir davantage au pétrole de l’Ouest canadien, plus abordable que celui en provenance de l’étranger (Brent). Le transport par convoi ferroviaire sème la méfiance chez les groupes écologistes et les municipalités.
L’impératif est financier plus que logistique. Au début de 2011, l’écart de prix entre les deux est passé de quelques dollars à 20 $, une économie colossale lorsqu’une installation raffine des millions de barils par mois. Il a culminé à plus de 25 $ en septembre 2011. Aujourd’hui, il est à 3 $.
Suncor, qui reçoit aussi du pétrole par l’entremise d’un pipeline qui arrive du Maine, voit le pétrole continental comme une façon d’améliorer la structure de coût de ses installations. Outre le recours au train, il y a aussi le bateau. Au deuxième trimestre, l’entreprise avait d’ailleurs indiqué qu’elle « a poursuivi les expéditions par voie maritime de brut à prix inférieurs de la côte du golfe des États-Unis vers Montréal lorsque la conjoncture du marché était favorable ».
STATISTIQUE CANADA
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