On pourra prétendre que Jean Charest a bien tardé avant de prendre à bras-le-corps le dossier des accommodements raisonnables. Mais sa prudence a porté de beaux fruits. L'annonce hier de la création d'une commission spéciale d'étude sur les accommodements est une sage réponse à un débat qui ne doit plus déraper.
Jean Charest s'était fait bien timide sur la question des accommodements raisonnables. Le premier ministre pouvait faire valoir la motion qui avait rejeté les tribunaux islamiques en 2005 (qui était plutôt le fait de sa députée Fatima Houda-Pepin), le comité créé par le ministère de l'Éducation l'automne dernier ou les velléités exprimées l'an dernier par la Commission des droits de la personne de porter le débat sur la place publique, il reste que la question a pris une tout autre tournure ces dernières semaines et que M. Charest était sur la réserve.
En se décidant enfin à agir, le premier ministre a la sagesse de le faire intelligemment. C'est un homme d'État qui a présenté hier la nouvelle commission, sachant séparer le bon grain de l'ivraie, rappelant les valeurs fondamentales des Québécois et la douleur, si souvent négligée, du déracinement des immigrants, mettant le doigt sur les malentendus, sachant trouver les mots pour dire un Québec malgré tout exemplaire.
Il faut retrouver la voix de la raison, a-t-il dit, et, pour ce faire, il s'est tourné vers deux rares détenteurs d'une certaine autorité morale au Québec: Gérard Bouchard et Charles Taylor. Le nationaliste et le fédéraliste, le francophone et l'anglophone, l'homme des régions et le Montréalais; deux hommes d'expérience, deux passionnés des questions identitaires. Que demander de mieux?
Le duo, autre bonne idée, ira rencontrer les Québécois, ce qui nous sortira des approches juridiques, politiques et médiatiques pour mieux saisir les préoccupations sur le terrain. De plus, en faisant débuter les travaux en mars et en donnant à la commission un mandat d'un an qui débordera toute campagne électorale, M. Charest dépolitise une question qui doit demeurer un enjeu social plutôt que partisan.
Jean Charest reste, bien sûr, un politicien en pré-campagne. Il devait vraiment savourer ses mots hier quand il a expliqué aux journalistes l'importance du sujet: «C'est vraiment le premier ministre qui vous parle.» De fait, comme cela lui est arrivé à quelques reprises au cours de son mandat, lorsqu'il a eu à défendre le Québec en entier, M. Charest en avait la stature.
L'effet était d'autant plus fort que l'annonce d'hier suivait la conférence de presse du nouveau candidat-vedette du Parti québécois, Bernard Drainville, qui, en une semaine, a été successivement journaliste, candidat pressenti, candidat en réserve jouant au journaliste, candidat caché dirigé vers un comté gagnant, puis candidat affiché mais pris à se démêler dans une chronologie dont il n'a livré que la version qui avantageait son intégrité! Bref, un vrai bon politicien qui a su balayer les questions trop précises du revers de la main.
Pendant ce temps, André Boisclair, qui n'a toujours pas commenté l'arrivée de M. Drainville, laissait son candidat se dépêtrer seul, ce qui lui a évité d'être confronté à des questions sur son propre jugement. Il savait bien, lui, en acceptant samedi de donner une entrevue à M. Drainville, que le PQ était à lui chercher une circonscription qui lui conviendrait! Dès lors, l'entrevue relevait de la comédie («un autre sketch», a dit Jacques Dupuis) ou plutôt de la tragi-comédie tant les deux protagonistes ont poussé à fond, aux yeux du public crédule, le jeu de l'antagonisme.
Bien sûr, la politique est le théâtre quotidien de grandeur et de faux pas, et les possibilités d'action d'un premier ministre sont plus grandes que celles de l'opposition. Mais à la veille d'une campagne électorale, toute impression compte. Et il faut reconnaître qu'hier, les maladresses péquistes ont ajouté au beau rôle de M. Charest.
jboileau@ledevoir.ca
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