S’habiller pour représenter ou être en représentation?

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Critique conservatrice du populisme de gauche


Il y aurait des choses plus importantes à discuter que l’habillement de Catherine Dorion, députée de Taschereau à l’Assemblée nationale. Elle-même le disait à Tout le monde en parle. Tout cela ne devrait pas prendre l’importance que les médias lui consacrent, ce serait de la politique spectacle. Qu’on laisse les gens s’habiller comme ils veulent et que l’on discute des vraies affaires.


Même chose pour ceux qui s’opposent aux costumes de Catherine Dorion, il s’agirait d’un comportement d’adolescente en mal d’identité. Qu’elle accepte une certaine norme vestimentaire et, là aussi, on pourra passer aux vraies affaires. Tout au plus, certains ont vu dans le comportement de la députée un manquement au décorum de la vénérable institution parlementaire ; d’autres l’imposition d’une norme désuète édictée par des hommes blancs d’une autre époque.


Ce débat touche néanmoins à quelque chose de plus fondamental qu’il n’en a l’air. Il pose la question de la représentation. Qu’est-ce que nos parlements représentent ? Représentent-ils le peuple dans sa concrétude, les électeurs de Taschereau, et leur composante sociologique, le fait d’être de classe populaire, femme, ou militant écologiste ; ailleurs, le fait d’être de classe moyenne, d’avoir une famille et une voiture. Ou, au contraire, les parlements seraient-ils la représentation de la nation en délibération, auquel cas c’est dans la mise en scène de la représentation que s’effectuerait la représentation.


Théâtralisation


Voilà une vieille question au coeur de l’histoire de la démocratie représentative. C’est à cette question que le philosophe politicien anglais du début du XIXe siècle Edmund Burke répondait dans sa lettre aux électeurs de Bristol. À ceux qui lui reprochaient de ne pas être résident du comté de ses électeurs, il répondait que le Parlement n’est pas un rassemblement d’intérêts d’électeurs, mais une assemblée délibérative qui construit la nation.


Nos assemblées législatives seraient en quelque sorte construites sur la métaphore du théâtre. On représenterait moins ses électeurs qu’on serait en représentation pour eux. La démocratie représentative ne fonctionnerait pas aux mandats, son idéal ne serait pas une assemblée miroir de la diversité, mais une opération de représentativité qui, par la délibération, construit la communauté politique.


Cette question n’a jamais reçu une réponse définitive. Une démocratie purement représentative serait une démocratie des intérêts ; une démocratie purement en représentation serait une démocratie vide. La réponse historique à cette question fut un compromis qui touche justement la question de l’habillement.


Dès les débuts de la création de l’espace public moderne, l’on prit l’habitude, dans les cercles littéraires, les cafés, et plus tard dans les parlements, de s’habiller en bourgeois, en habitant des bourgs. Cela permettait justement de ne pas connaître le statut social de celui qui parle, car la société aristocratique associait l’habillement au rang. En neutralisant l’habillement, tant dans l’espace public que dans les parlements, on pouvait faire « comme si » celui qui parle est un égal participant à la délibération sur le commun.


Féminité


Depuis les années 1960, l’on assiste à un ébranlement de ce compromis historique. C’est ce que l’on a appelé la crise de la représentation. Elle s’affirme au départ par un déclin de l’espace public concomitant à une valorisation de l’authenticité. La fonction théâtrale de l’espace public est remise en question au nom d’une adéquation de l’intime et du public.


Par ailleurs, les mouvements sociaux sont devenus plus identitaires, réclamant une démocratie « représentative », plus miroir de la diversité. Le populisme de gauche comme de droite est justement l’authenticité érigée en politique.


La question des femmes est particulièrement interpellée par ces modifications. Elles furent largement exclues, tant de l’espace public que des parlements. La question de leur habillement ne fut pas historiquement l’objet d’une tradition publique, sinon celui de la féminité. Leur insertion dans la vie publique au XXe siècle ne fut pas l’objet, comme ce fut le cas des hommes, d’une neutralisation de l’habillement (le tailleur est optionnel, le complet cravate, une obligation). Pour certains, ce sont les hommes qui ont voulu conserver cet attrait de féminité, pour d’autres, la révolution de l’authenticité accompagne l’entrée des femmes dans l’espace.


Représentation


Qu’est-ce que nous perdons par l’affaiblissement de la représentation théâtrale au profit d’une représentation réelle ? Devant la pluralisation des sujets politiques, la capacité à imaginer le commun, car la mise en représentation de la communauté crée une situation où aucun groupe ou citoyen particuliers ne peut affirmer : « Nous, le peuple ».


La représentation théâtrale crée par ailleurs un écart entre la mise en scène de la représentation (l’assemblée) et les représentés, permettant à ces derniers de ne jamais s’assimiler complètement au pouvoir : « Ils ne sont pas le peuple ». Cet écart entre le représentant et le représenté est un rempart contre les tentations autoritaires du populisme.


Il est étonnant que la femme de théâtre qu’est Catherine Dorion donne si peu d’importance à la forme théâtrale de la représentation, la mise en scène de la représentation, pour axer son combat sur la représentation comme forme d’authenticité. En cela, elle s’inscrit dans cette gauche identitaire qui ne croit plus aux institutions de la représentation au nom d’une démocratie miroir. Porter du mou n’est pas une question anodine.









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