Jean-Jacques Nantel, dans La Souveraineté Devrait Déjà Être à 60 ou 70%, en parlant du discours qui devrait être fait lors de la victoire référendaire, disait qu'une partie de ce discours devrait être faite en anglais pour "s'adresser au reste du monde." Cette suggestion m'a initialement fait un peu tiquer et j'y ai repensé par la suite. Je prends cette partie du texte de M. Nantel, que j'ai d'ailleurs beaucoup apprécié, comme prétexte pour partager quelques réflexions et idées.
Le reste du monde ne parle pas anglais. L'anglais serait la langue maternelle de moins de 5% de la population mondiale, et au plus 20% de la population mondiale parlerait cette langue. Le reste du monde parle parfois anglais, parfois français, espagnol, portugais, chinois, arabe, russe et tant d'autres langues que je ne saurais toutes les nommer.
Vingt-neuf pays de l'Union Européenne font partie de la Francophonie, alors que seulement trois pays européens sont de langue anglaise (si on compte Malte), peut-être bientôt quatre si l'Écosse accède à l'indépendance. Le français a un statut officiel dans trente-trois pays du monde, cinquante-trois si on tient compte de territoires outre-mer comme la Guadeloupe et les Malouines ou de juridictions comme le Québec et Porto Rico.
Ça, c'est aujourd'hui, mais qu'en est-il du futur? Notre langue est-elle en déclin?
Le français est la langue maternelle d’entre environ 72 et 125 millions de gens et 223 millions de personnes parleraient français, donc la majorité des francophones du monde n'ont pas le français pour langue maternelle, ils l'ont appris.
Aujourd'hui, 112 millions de personnes dans le monde apprennent le français ; pas très loin derrière l'anglais, c'est la deuxième langue la plus étudiée au monde. Cent douze millions, c’est deux fois la population de la France.
Qu'une langue attire tant de nouveaux locuteurs, qu'une langue soit la langue seconde commune de tant de gens, qu'une langue soit étudiée par tant de gens dans tant de pays, ne sont-ce pas des signes de la vitalité d'une langue véritablement internationale?
Bon alors, qu'est-ce qu'on devrait faire du discours de la victoire? Je crois qu'on devrait le faire en français, mais en y ajoutant une petite astuce. À l'exception d'une partie anglaise qui s'adresserait au Canada anglais qui ne sera pas alors pour nous un pays comme les autres, le discours devrait être en français. Et nous devrions en traduire le texte dans les dix principales langues du monde. La traduction serait disponible par écrit, sur bande sonore et en sous-titre. Ainsi dans les salles de rédaction du monde entier le travail des journalistes s'en trouvera facilité. Par la loi du moindre effort, il sera plus facile pour les journalistes de remplir le temps d'antenne avec de plus longs extraits du discours qu'en produisant eux-mêmes dans la langue de leurs auditoires du contenu d'analyse, de traductions et d'explications, ou en prenant bêtement la version anglaise.
Ceci aura l'avantage mieux coller aux efforts diplomatiques de la Francophonie. Plutôt que d'affronter bêtement l'anglais de front, la Francophonie a développé avec une certaine habileté l'idée que, dans le monde, l'anglais est peut-être nécessaire, mais qu'il n'est pas suffisant. Si le français ne peut détrôner l'anglais comme première langue internationale, on peut mettre de l'avant l'idée du plurilinguisme. L'idée de la diversité culturelle est dans cette mouvance. Cette approche est pragmatique : oui, il y aura l'anglais, mais il n'y aura pas que l'anglais. Et le français, avec l'espagnol peut-être, peut se positionner avantageusement comme étant l'autre langue internationale.
On peut penser qu'un jour si nous parlons tous une ou deux langues et l'anglais, ce seront les unilingues anglais qui seront limités.
Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas seuls et que d'autres nations ne voient pas eux non plus avec gaieté de coeur leur propre langue prendre ombrage de la domination de l'anglais. Ne verront-ils pas d'un bon oeil ce nouveau pays venu qui aura eu l'élégance de traduire son discours fondateur dans leur propre langue?
***
Je me suis largement inspiré de Julie Barlow et Jean-Benoit Nadeau pour écrire ce texte. Voir Barlow et Nadeau. Lire La Grande Aventure de la Langue Française.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
3 commentaires
Michel Patrice Répondre
17 février 2012Je ne veux pas partir une chicane, nous sommes du même côté de la clôture.
Si nous enregistrons notre discours dans les dix langues les plus importantes du monde, plus de gens nous comprendrons dans leur propre langue. Je ne propose pas de faire ce discours en français seulement, je propose de l'enregistrer en plusieurs langues, sur plusieurs supports (papier, vidéo, bande sonore, version sous-titré, etc...) pour qu'il puisse être facilement diffusé en plusieurs langues.
Le jour de la victoire référendaire, à travers toutes les nouvelles du jour, se pourrait-il que l'attention du journaliste suédois soit davantage retenue par ce communiqué écrit en suédois en provenance du Québec, communiqué qui tranchera sans doute sur le lot de communiqués écrits en anglais en provenance de partout et qui se ressemblent tous?
Je sais par expérience personnelle que l'homme de la rue au Mexique et en Russie ne parle le plus souvent que quelques mots d'anglais.
Ce qui est fûté, ce n'est pas nécessairement parler anglais quand nous sommes à l'étranger, ce que nous faisons déjà et pas si mal. Ce qui est plus fûté, c'est parler la langue du client.
Encore une fois, par expérience personnelle, je connais quelqu'un qui, ici à Québec, parle français, anglais et suédois. Son employeur n'a rien à faire qu'il parle anglais, c'est une compétence banale que plus de la moitié des employés de l'entreprise possède. Mais sa maitrise du suédois a une grande valeur car son employeur a des clients en Suède qui nous achètent des produits de haute-technologie (de la photonique dans ce cas-ci).
Ceci étant dit, j'apprécie vos textes et voyez mon article d'aujourd'hui comme une amicale suggestion.
Jean-Jacques Nantel Répondre
17 février 2012Je vois que je n'ai pas été assez explicite dans le texte que vous citez au sujet de l'importance de la partie anglaise du discours de victoire post-référendaire du premier ministre québécois.
Ce qu'il importe de comprendre, c'est que le Québec ne fera la une des journaux télévisés du monde entier que le soir de la victoire référendaire. Ce sera le seul moment où nous pourrons faire valoir nos principaux arguments, notamment moraux, devant toute la communauté internationale.
Il ne faut jamais oublier en effet qu'une victoire référendaire ne sera que la première étape d'un processus devant mener à l'indépendance. Or, la communauté internationale va jouer un rôle déterminant dans ce processus. Après avoir parlé aux pays francophones dans la langue de Molière, il vaudrait donc mieux communiquer avec le reste du monde dans la langue seconde, l'anglais, qui est aujourd'hui enseignée dans la plupart des écoles de la planète.
Autrement dit, ce ne sera pas le temps de faire valoir le français au moment où nous serons encore faibles. Pour le faire, il sera beaucoup plus efficace d'attendre le moment où nous aurons récupéré toute notre puissance, qui ne sera pas négligeable.
Je terminerai en disant qu'une confusion s'est installée dans l'esprit des Québécois au sujet de la langue anglaise. En effet, l'anglais, au Québec, a toujours servi à nous appauvrir alors qu'à l'étranger, il a toujours servi à nous enrichir, notamment quand nous y faisions des affaires.
Comme notre but est de nous enrichir, il nous faut donc imposer une totale domination du français au Québec et utiliser l'anglais à l'étranger, du moins quand nos interlocuteurs ne parlent pas le français. C'est ça qui est futé!
Jean-Jacques Nantel, ing.
Archives de Vigile Répondre
17 février 2012C'est en Afrique que le français avance le plus rapidement. Juste au Congo, c'est 31 millions de personnes qui le parle. Mes informations ne sont pas à jour, mais il y a à l'évidence plus de francophones en Afrique qu'en France même. Et la substance du français fait que c'est du «vrai» français qui est parlé. Contrairement à l'anglais, lequel devient ces années-ci une espèce d'esperanto ou de «langue d'aéroport» que parfois les anglophones de culture ont même de la difficulté à saisir.