Le président rwandais Paul Kagame. Photo: AP
Emmanuel Hakizimana - Par leurs soulèvements, les Tunisiens et les Égyptiens viennent de chasser du pouvoir les dictateurs qui les avaient opprimés pendant des décennies. Il s'agit d'un exemple patent qui montre combien il est impossible d'étouffer indéfiniment les aspirations de liberté, de justice sociale et de démocratie d'un peuple. Cependant, la question reste de savoir si les dictateurs de ce monde sont capables d'assimiler cette leçon.
Prenons le cas du Rwanda. Le jour même où Hosni Moubarak quittait le pouvoir, le régime rwandais condamnait à quatre ans d'emprisonnement l'opposant Me Bernard Ntaganda, une peine qui fait dire à Human Rights Watch que le système judiciaire rwandais est utilisé pour persécuter les opposants et intimider le public. Cette condamnation suivait de près celle de deux femmes journalistes, Saidati Mukakibibi et Agnès Nkusi Uwimana, à de lourdes peines d'emprisonnement de sept et 17 ans pour avoir critiqué le dictateur Paul Kagame dans la période préélectorale.
Rappelons que ce dernier s'est fait réélire le 9 août 2010 pour un deuxième mandat de sept ans avec un score stalinien de 93 %. Rappelons aussi que, pendant la période préélectorale, une trentaine de journaux indépendants ont été fermés, que le journaliste Jean Léonard Rugambage a été assassiné et que le vice-président du Parti démocratique vert a été tué et son corps quasi décapité. Bref, les dirigeants des partis d'opposition rwandais sont presque tous actuellement en exil ou en prison.
L'arrestation de l'opposante Victoire Ingabire, le climat de terreur, les meurtres et les attentats politiques ont jeté le discrédit sur ces élections. Dans le classement mondial 2010 de liberté de la presse effectué par Reporters sans frontière, le Rwanda figure parmi les 10 pays les plus grands prédateurs de la presse.
Comme l'on voit bien, la contestation qui a emporté les dictateurs tunisien et égyptien et qui s'étend désormais partout dans les pays arabes pourrait trouver matière à contagion ailleurs dans le monde. Elle ne devrait pas non plus préoccuper uniquement les dictateurs. Elle interpelle aussi les puissances occidentales qui, malgré de beaux discours sur les droits de la personne et la démocratie, soutiennent fermement les régimes répressifs et liberticides, soi-disant au nom de la stabilité.
Autant Ben Ali et Moubarak étaient fortement soutenus par l'occident, autant Paul Kagame est soutenu par les grandes capitales occidentales, principalement Londres et Washington, qui financent la moitié du budget de son gouvernement et sa machine de répression.
Un aspect particulièrement nuisible des appuis inconditionnels accordés aux régimes dictatoriaux est qu'ils donnent le message selon lequel l'Occident est uniquement préoccupé par la stabilité, même lorsque celle-ci est obtenue au prix de la violation des droits civils et démocratiques. Par ce comportement, les puissances occidentales introduisent une distorsion dans les incitatifs auxquels répondent les dictateurs et l'aide étrangère est vite transformée en financement de l'oppression.
Dans le cas du Rwanda, malgré les multiples sonnettes d'alarme tirées par les organisations telles qu'Amnesty International, Human Rights Watch et Reporters Sans Frontière, les puissances occidentales ne semblent pas exercer de pression particulière sur le régime de Kigali pour qu'il arrête la persécution des opposants et des journalistes. Ces puissances ne se montrent pas non plus pressées à donner une suite appropriée au rapport Mapping des Nations unies qui établit que l'armée de Kagame a commis des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et possiblement un génocide sur les réfugiés Hutu dans ses guerres au Congo dont le bilan dépasse 5 millions de victimes.
Dans un tel contexte, rien d'étonnant que le dictateur Kagame affecte 10% de l'aide au développement à l'entretien de ses lourds organes de sécurité, alors que le Rwanda se trouve parmi les 20 derniers pays au monde dans le classement de l'indice de développement humain de 2010 (qui fait la synthèse des indicateurs d'espérance de vie, de niveau de revenu et de niveau d'études).
L'argument de stabilité à n'importe quel prix, longtemps présenté pour appuyer des dictatures, vient de montrer sa faille dans l'effondrement brusque des régimes Ben Ali et Moubarak au grand dam de leurs alliés. Le monde devrait désormais comprendre que la seule stabilité qui vaille la peine d'être défendue est celle qui émerge des institutions démocratiques et répond aux profondes aspirations de tous les citoyens.
Comme l'a si bien dit le président américain Barack Obama à Accra (Ghana) le 11 juillet 2009, l'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts mais plutôt d'institutions fortes. Puisse les États-Unis et les autres puissances occidentales oeuvrer dès à présent en faveur de l'établissement de telles institutions et le vent du changement maghrébin balayer aussi l'Afrique sub-saharienne, et particulièrement le Rwanda.
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Emmanuel Hakizimana, Ph.D.
Docteur en économique, spécialiste en finance internationale et chargé de cours à l'Université du Québec à Montréal
Président du Congrès rwandais du Canada
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