La Cour suprême, le rapatriement de la Constitution et les intrigues du juge Laskin ? Bof, ont semblé soupirer cette semaine les médias du Canada anglais. La question a peut-être alimenté les débats au Québec - et fait sortir Lucien Bouchard -, mais elle est passée pratiquement inaperçue ailleurs au pays. Peu ou pas de commentaires et d’éditoriaux. Quasi-silence radio.
Non, les Anglos en avaient plutôt pour le couronnement annoncé de Justin Trudeau, le décès de Margaret Thatcher, le dossier de la RBC ou l’évasion fiscale. Quant au geste du juge Bora Laskin, il faudra vraisemblablement attendre que le livre de Frédéric Bastien soit traduit - ou que la Cour suprême dévoile les résultats de l’examen qu’elle mène - pour que le ROC en parle.
Beaucoup plus inspirant fut donc le décès de Margaret Thatcher. Polarisante jusqu’au bout, la Dame de fer s’est attiré les éloges appuyés de Stephen Harper, alors que Bob Rae et Thomas Mulcair ont fait le service minimum. Dans l’Ottawa Citizen, Andrew Cohen rappelle qu’il y avait « tant de raisons de ne pas l’aimer ». Elle offrait à ses détracteurs tout « un catalogue de reproches » potentiels. Les syndicalistes, les locataires, les Argentins, les fonctionnaires, les sociaux-démocrates, les pauvres, les Irlandais, voire Nelson Mandela, tous avaient de bonnes raisons de la haïr, écrit Cohen.
Mais au-delà de son action politique, Cohen retient surtout d’elle les traits de sa personnalité politique. « Ce qui nous interpelle aujourd’hui, c’est son caractère : originale, indépendante, résolue. Elle parlait souvent de conviction en politique », une attitude qui « contraste avec la lâcheté des politiciens du XXIe siècle, guidés d’abord et avant tout par les sondages ».
Dans le Toronto Sun, Peter Worthington estime lui aussi que peu importe si on a aimé ou détesté Margaret Thatcher, personne ne peut nier qu’elle fut « la figure dominante de la Grande-Bretagne de la deuxième moitié du siècle dernier, tant sur les plans politique que social, économique et culturel ».
« Elle a changé le pays par la force de son caractère et de ses convictions », dit-il. Elle a fourni à Ronald Reagan l’intelligence qui lui manquait pour faire les bonnes choses et à George Bush père, insufflé un peu de courage pour prendre les bonnes décisions. Worthington évoque encore sa « franchise et son courage », se prenant à regretter qu’il n’y ait pas de Thatcher dans le monde politique contemporain.
Harper et Thatcher
Elle a toutefois quelques rejetons éloignés. Selon John Ibbitson, chroniqueur au Globe and Mail, Thatcher fut assurément un mentor pour Stephen Harper, qui l’a rencontrée peu après son élection en 2006. « Margaret Thatcher a été une véritable inspiration pour le conservatisme canadien moderne, écrit-il. Beaucoup plus que Ronald Reagan, elle a influencé les valeurs et les politiques de la droite canadienne. »
Avant elle, explique Ibbitson, le conservatisme canadien était plutôt rouge. Pour une économie de marché, mais aussi pour une certaine compassion sociale. L’exemple type ? Brian Mulroney, qui n’était pas suffisamment conservateur aux yeux de Margaret Thatcher.
Mais Stephen Harper, lui, est un « vrai disciple » de la Dame de fer, dit Ibbitson. Quelqu’un qui, comme elle, croit que les gouvernements doivent couper les impôts, équilibrer les budgets, diminuer les dépenses, déréglementer l’économie, limiter le pouvoir des syndicats et adopter une politique étrangère plus robuste.
Ibbitson remarque que comme Thatcher, Harper a refusé de s’engager dans un conservatisme à la Reagan, qui se nourrissait d’un discours « God, guns and gays » (pro-Dieu, proarmes et antigais). Le Parti conservateur actuel a fait la paix avec le mariage gai, n’a pas touché à l’avortement et n’a pas libéralisé l’accès aux armes, dit le chroniqueur. « D’une certaine manière, la dispute entre le premier ministre et certains députés qui veulent rouvrir le débat sur l’avortement reflète sa détermination à garder le Parti conservateur du Canada près du thatchérisme, alors que d’autres le voudraient plus populiste, chrétien et américain. »
Harper n’est pas Thatcher pour autant, note Ibbitson : ses réformes sont plus modérées. « Mais la direction est claire », dit-il. Ainsi le harperisme est une forme de thatchérisme étatiste : on avance à plus petits pas, mais dans le même sens.
Trudeau
Quelques mots sur Justin Trudeau, qui devrait être élu chef du Parti libéral du Canada ce dimanche. Sur le site canada.com, Michael Den Tandt soutient que l’arrivée de Trudeau à la tête du PLC va forcer le NPD et les conservateurs à rajuster leurs stratégies.
Den Tandt s’attend notamment à ce que le NPD tente d’adoucir l’image de Thomas Mulcair, pour concurrencer Justin Trudeau sur le terrain de la sympathie. « La lutte pour le Québec est ouverte », dit-il. Pour les conservateurs, un remaniement ministériel et un certain adoucissement des politiques vont suivre. Stephen Harper n’échappera pas non plus à l’obligation d’arrondir les angles d’une personnalité froide.
Mais surtout, Den Tandt prévoit que tant le NPD que les conservateurs vont être tentés de modifier leur message pour aller jouer sur le terrain libéral - vers le centre de l’échiquier, là où prétendument plus personne ne voulait aller…
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