Quand il était chef du Parti québécois, Bernard Landry, pour se moquer des fédéralistes qui, selon lui, voyaient trop petit pour le Québec, aimait bien parler de la « prâââvince » de Québec. C’était une manière pour lui de tourner en ridicule ce mot qui humiliait le Québec, alors qu’à son avis, on devait le présenter comme une nation ou un pays.
J’y repensais, ces jours-ci, en commençant mentalement le bilan de cette campagne électorale, qui aura été terriblement... provinciale.
Régression
Les Québécois avaient pris l’habitude, depuis la Révolution tranquille, d’associer la politique à de grands projets de société. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils étaient absents d’une campagne exclusivement centrée sur la réponse aux besoins quotidiens des individus. Le Parti libéral a poussé cela jusqu’à la caricature en en faisant son slogan de campagne : il entend faciliter la vie des Québécois. Il n’était pas le seul à se situer à ce niveau. Je pense ici au PQ et sa promesse sur les lunchs à l’école.
La question nationale était absente des débats. Elle n’existait plus qu’à travers un débat diminué et pour l’essentiel esquivé sur « l’identité ». Je ne suis pas de ceux qui dédaignent ce sujet, mais il ne représente qu’une partie de la question nationale. Même lorsqu’on parlait de l’immigration massive, on le faisait avec des pincettes, comme si on s’interdisait d’évoquer franchement le danger qu’elle pose pour l’identité québécoise. Manon Massé ira jusqu’à dire que la question n’aurait pas dû être abordée dans la campagne.
La question des rapports entre le Québec et le Canada était généralement laissée de côté, comme si nous acceptions désormais d’être des provinciaux heureux pensant leur avenir dans le petit espace qu’on leur laisse. Et quand certains ont osé demander à François Legault comment il ferait pour convaincre Ottawa de céder à ses revendications minimalistes, il s’est réfugié dans la pensée magique, comme si l’histoire n’avait pas prouvé cent fois l’hostilité du régime fédéral aux revendications québécoises.
Il y a dans l’air un parfum de décomposition. Et on apprenait avant-hier, dans le Huffington Post, que pour la première fois depuis longtemps, les Québécois francophones tendent à abandonner lentement leur appartenance au Québec et à réhabiliter leur identité canadienne, alors que le Canada ne fait preuve d’aucune ouverture à leur égard. Mais ce n’est pas surprenant : le régime politique sous lequel on vit façonne nos mentalités, et le peuple québécois, à force de demeurer dans un pays qui le nie, se fait canadianiser mentalement.
Réveil
Lentement, mais sûrement, nous redevenons une province. C’est-à-dire que notre horizon se rétrécit, nos ambitions se racornissent, et notre identité régresse. Le vieux rêve de Pierre Elliott Trudeau semble s’accomplir peu à peu : si la tendance se maintient, un jour, nous deviendrons des Canadiens bilingues du Québec. Je ne doute pas que notre identité, qui se laisse embrouiller et endormir, pourrait resurgir. Encore faut-il qu’on la réveille.